Alexandra Hénault
Lauréate du Prix René-Lévesque de la presse étudiante (volet collégial)
La Fondation a remis le prix René-Lévesque de la presse étudiante le 15 novembre 2019 dans le cadre du Congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec en collaboration avec Le Devoir. Visant à souligner l’excellence et le talent dans la presse étudiante, ce prix récompense les auteur.es de deux textes d’opinion parus et publiés dans un journal étudiant, collégial et universitaire, au cours de la dernière année.
Alexandra Hénault est étudiante de 2e année au programme Art, lettres et communications au Cégep régional de Lanaudière à l’Assomption et est reporter à la section environnement et billettiste du journal La Taupe.
Le sentiment d’urgence se fait de plus en plus ressentir depuis que les images de la forêt amazonienne en feu circulent sur les réseaux sociaux. Il est impossible de nier l’état critique dans lequel la planète se trouve. La société se déprave, causant un avenir écologiquement invivable : cela ne fait que confirmer une décision que j’ai prise depuis longtemps, soit celle de ne pas avoir d’enfant.
« Tu es trop jeune, tu as le temps de changer d’idée » ou encore « Moi aussi à ton âge, je ne voulais pas en avoir » : voilà ce que la plupart des gens me répondent lorsque je leur annonce mon désir de ne pas donner naissance. Aujourd’hui, en raison de tous les événements tragiques auxquels nous assistons, je me sens plus que jamais dans l’obligation d’expliquer pourquoi il m’est inconcevable de porter un être en moi.
Déclin
La société se définit comme étant un regroupement visant de manière collaborative le bien d’une entreprise commune. Pourtant, le monde dans lequel j’ai été élevée semble avoir oublié la partie « interaction humaine » que sous-tend cette définition tellement il a les yeux rivés sur son nombril et son cellulaire. C’est l’individualisme dominant qui m’empêche de désirer être un jour enceinte.
Fondamentalement fait pour vivre en clan, d’où le principe de vie en société, l’humain veut avoir des enfants pour donner à la communauté, mais aussi pour que cette communauté l’aide à se bâtir. Ainsi, la venue d’un enfant devient un geste collectif.
Dans un monde individuel, bien que l’intention derrière ce choix demeure noble, il est ironique d’affirmer que l’on offre un cadeau à la société en créant une nouvelle vie. Les systèmes sociaux sont de plus en plus encombrés : ne serait-il pas mieux de s’occuper des individus vivants ? Comment expliquer qu’une jeune fille de sept ans qui habitait ici au Québec, dans un endroit considéré comme sécuritaire, meure en raison d’un traitement d’enfant martyre ?
Pourquoi avoir des enfants et se promettre de leur offrir la meilleure vie possible, si on peut se dévouer pour un enfant qui vit déjà, mais dans des conditions difficiles ? On ne peut pas garantir une belle vie à l’être qui se trouve en nous, mais il est possible de donner une vie meilleure à un jeune qui respire en ce moment.
Environnement ravagé
Nous assistons à la sixième extinction de masse. Non, cela ne signifie pas que les caribous forestiers sont destinés à disparaître : ce sont des millions d’espèces qui sont en péril, et parmi elles se trouve celle qui consomme 179 000 litres de pétrole par seconde.
L’individualisme ne détruit pas seulement les rapports sociaux, mais l’environnement aussi. Sérieusement, comment se résoudre à donner la vie dans ces conditions ? À mon avis, on parle plutôt de donner la mort. Guerre climatique et environnement détruit, voilà ce qui nous attend, ce qui les attend.
Les jeunes crient aujourd’hui dans les rues pour essayer de se garantir un avenir : les slogans clamés se heurtent aux murs de l’ignorance qui servent d’oreilles aux dirigeants. « L’espoir n’est pas mort ! » est la phrase que j’entends le plus souvent lors des manifestations, mais pour moi, l’espoir est un mythe auquel j’ai décidé de ne plus croire […].
L’amour que l’on voue à un enfant ne se consomme pas comme des données Internet. Ces petits êtres sont beaucoup plus qu’un contrat que l’on signe pour deux ans avec une compagnie téléphonique : c’est un serment que l’on s’engage à tenir pour la vie. J’appelle donc à la décroissance démographique, car il est manifestement impossible de tenir la promesse de vie que l’on fait à nos enfants dans un monde qui se condamne à l’autodestruction. Et j’appelle aussi à aider de manière altruiste les jeunes dont les parents n’ont pu respecter ce serment puisqu’ils sont nés, ou vont naître, sur une planète à l’environnement ravagé.
Amour inconditionnel
On m’a déjà affirmé qu’avoir des enfants, c’est aussi goûter pour la première fois au concept d’amour inconditionnel. Cependant, selon moi, l’amour sans condition, c’est aussi admettre qu’actuellement la naissance de l’enfant lui causera plus de tort que de bien. Malgré tout, sans que je comprenne vraiment, certains pensent que pour connaître cet amour, ils doivent absolument donner naissance à un enfant.
D’après moi, cet amour, le vrai, c’est avant tout d’accepter qu’il soit mieux pour celui à qui nous vouons tout cet amour de ne jamais voir le jour. Il est donc possible pour moi de vivre l’amour inconditionnel grâce à l’enfant que je ne connaîtrai jamais, parce que je choisis de lui offrir la non-existence au lieu de la vie apocalyptique qui l’attend ici sur Terre. Et si ça ne suffit pas, je peux m’occuper des enfants dans le besoin, peut-être même en adopter un, voilà un geste puissant d’amour : consacrer sa vie à donner à autrui une existence moins triste dans un monde qui l’est déjà bien assez.
« Je n’enfanterai jamais ». Suis-je capable de tenir cette promesse ? Je suis terrifiée à l’idée qu’un jour mon corps, instinctivement fait pour donner la vie, trahisse cet engagement. Je me rattache pourtant au fait que la société ne changera pas : elle sera toujours destinée à détruire l’environnement un peu plus chaque jour, et à offrir les décombres d’une Terre aux prochaines vies.
J’ose espérer que les aiguilles qui indiquent minuit moins une à la planète seront plus fortes que mon horloge biologique. Je fais le deuil des neuf mois de grossesse, des coups de pied me chatouillant le bas-ventre, et des séjours chez le médecin permettant d’entendre un coeur battre en moi : renoncer est mon dernier instinct d’humanité.
Le texte a été publié la première fois le 27 août 2019 dans le journal La Taupe et repris le 25 novembre suivant dans dans la section « Idées » des pages du Devoir.