Compte-rendu du livre René Lévesque, homme de la parole et de l’écrit par Alain Lavigne dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 66, no. 1 (été 2012), p. 112-115. [1]
STEFANESCU, Alexandre et Éric BÉDARD (dir.), René Lévesque. Homme de la parole et de l’écrit (Montréal, VLB éditeur, 2012), 173 p.
Les collectifs regroupant des textes d’universitaires, de journalistes, de professionnels et de proches d’un personnage politique ne sont pas toujours d’une lecture facile en raison de leurs propos souvent difficiles à unifier. Force est de reconnaître que le collectif tiré du colloque «René Lévesque. Homme de la parole et de l’écrit», tenu le 4 novembre 2011, fait exception à la règle.
Pourquoi? Parce qu’il remplit bien sa promesse de nous présenter un René Lévesque sous un angle méconnu, soit celui d’un personnage qui avait cette capacité «tout à fait unique d’expliquer, de raconter, d’analyser, de convaincre, et ce, par une prise de parole engagée et par une écriture tonique» (p. 7). De fait, affirment Alexandre Stefanescu et Éric Bédard, il serait erroné de considérer qu’il y a eu deux Lévesque, l’un journaliste l’autre politicien. Du correspondant de guerre au journaliste vedette de Radio-Canada, au ministre libéral de l’«équipe du tonerre» jusqu’au premier ministre souverainiste, on retrouve un seul personnage qui a la même passion d’expliquer, d’informer, de partager ses convictions (p. 7).
Et que dire de l’image d’un René Lévesque brouillon? Selon Yves L. Duhaime (texte de clôture), il s’agit là d’un véritable mythe. «En fait, il était toujours minutieusement préparé.» (p. 154)
Par ailleurs, Jean-Louis Roy (texte d’ouverture) rappelle qu’au-delà des mots dits et des mots écrits par René Lévesque, ce qui importait pour lui était leur signification dans l’action. «Ce discours sur l’émancipation de la nation et subséquemment sur la souveraineté constamment élargie des femmes et des hommes d’ici, des créateurs et des entreprises d’ici, n’est pas qu’un simple discours. Il constitue une ardente obligation.» (p. 19)
Le reporter de guerre
Du Lévesque de la radio, Aimé-Jules Bizimana («René Lévesque, reporter de guerre») et Pierre Pagé («René Lévesque et l’invention d’un style radiophonique») font ressortir les talents du reporter pour le récit. «Un récit percutant qui se déploie dans le reportage avec un style vivant», soutient Bizimana, (p. 67). Mais également, ajoute Pagé, pour son style de parole qui savait jouer «des effets linguistiques du changement de tonalité qui cherchait à surprendre, à attirer l’attention par le contraste et à intensifier le sentiment de proximité avec l’auditeur en employant des expressions du parler populaire, celui des régions ou celui des milieux ouvriers et industriels» (p. 92).
Le vulgarisateur de télévision
Du Lévesque de la télévision, Marc Laurendeau («René Lévesque et la télévision») nous démontre qu’il a été l’un des premiers à en maîtriser les particularités, par «une créativité surprenante et à créer un lien quasi personnel avec un large éventail de la population» (p. 98). «La véritable force de René Lévesque aura été d’amener un climat d’intimité à la télévision. Il ne s’adressait pas à une foule mais à chaque téléspectateur individuellement», précise Laurendeau. (p. 99)
Le chroniqueur
Même si nous l’avons à peu près tous oublié, Lévesque a été chroniqueur entre 1966 et 1976 pour différents médias. Il y a publié près de 1 400 chroniques! Éric Bédard et Xavier Gélinas notent que de tous les premiers ministres, René Lévesque est celui qui a le plus écrit. Dans ce genre journalistique où il se démarque également, il joue sur tous les spectres : «celui du pédagogue, de l’ironiste, du pamphlétaire ou du justicier, du tendre, du poète, voire du prophète qui s’exprime par métaphores, de l’observateur qui s’interroge, du témoin qui se confie…» (p. 34)
L’essayiste
René Lévesque a enfin exploré le genre littéraire particulier qu’est l’essai. Selon Anne Caumartin («René Lévesque, essayiste»), c’est à travers les principes de ce genre qu’il faut analyser l’écriture d’Option Québec (1967-1968) et du commentaire «Libérer l’avenir» (1985), lesquels ne répondent pas aux genres habituels du manifeste ou du commentaire. Caumartin suggère qu’en livrant de tels textes sous la forme de l’essai, René Lévesque aurait voulu en quelque sorte en adoucir la tonalité en recourant à des images fortes et à des citations afin d’encadrer ses arguments politiques (p. 29).
Ses discours
Comme politicien, René Lévesque a bien sûr rédigé et prononcé de nombreux discours. Denis Monière et Dominique Labbé («Les discours de René Lévesque au regard de la statistique lexicale») en présentent une analyse lexicale à partir des discours du premier ministre de 1976 à 1985. Lévesque se démarque par la longueur de ses phrases et par leur complexité. Qui plus est, et cela est une caractéristique paradoxale, il est peu enclin à parler de souveraineté (p. 59). «Il parle de souveraineté toutes les 116 phrases. La fonction de premier ministre ne semble pas propice à la promotion de la souveraineté.« (p. 65)
Ses relations avec les professionnels de l’image et du journalisme
Cinq autres textes du collectif ajoutent grandement aux connaissances de René Lévesque, à la fois sur ses relations avec les professionnels chargés de veiller à son image et avec les journalistes.
Yves Dupré («Communication politique et image») résume les trois principales caractéristiques des habiletés de communicateur de Lévesque : sa capacité exceptionnelle de synthèse ; son sens inné de la pédagogie, son don de se mettre à égalité avec les spectateurs (p. 105). Pour sa part, Gracia O’Leary («René Lévesque et ses relations avec les journalistes») témoigne que René Lévesque ne faisait aucune concession sur l’exactitude et la qualité du contenu de ses textes et communiqués (p. 131).
Quant à Jocelyn Saint-Pierre, Bernard Descôteaux et Graham Fraser, ils nous dévoilent les relations particulières qu’entretenait René Lévesque avec les journalistes francophones et anglophones dans un contexte où le journalisme verse de plus en plus dans le spectacle au détriment de l’information.
Saint-Pierre («Le journalisme politique de 1960 à 1985 : de l’information au spectacle») relève la résistance de l’homme à être mis en vedette par les médias dont il n’obtiendra aucun appui important de 1976 à 1985. «Ce premier ministre « antihéros » incarne le Québécois moyen. Il n’a pas besoin d’être mis en marché.» (p. 128)
Pour Descôteaux («Le point de vue d’un journaliste francophone») le fait que que[sic] Lévesque ait été un ancien journaliste ne l’a pas rapproché des membres de la confrérie. «La proximité entre les acteurs n’est tolérable que si chacun garde une saine distance et gagne par son professionnalisme le respect des autres. Ayant connu le même univers sous d’autres premiers ministres, je peux témoigner que c’est sous le gouvernement de René Lévesque que ces règles ont été le mieux respectées, grâce, je crois à l’attitude personnelle de M. Lévesque, qui imposait à tous le respect par celui qu’il nous témoignait.» (p. 144)
Fraser («Le point de vue d’un journaliste anglophone»), quant à lui, confirme que Lévesque ne faisait pas de favoritisme dans ses relations avec les journalistes (p. 151). De plus, il reconnaît qu’il était aimé par ses anciens collègues et admiré par beaucoup de Canadiens anglais en raison de sa franchise et de son intégrité (p. 147).
En terminant, notons que la page couverture du livre présente une très belle photographie montrant René Lévesque en pleine action à la radio en 1949. Le collectif aurait certes gagné à en présenter quelques autres au fil de ses pages.
ALAIN LAVIGNE
Département d’information et de communication
Université Laval