Samedi, 29 juillet 1972
L’Héritier…
Il apparaît dans l’encadrement de la porte et l’on reste saisi. En plus délicat, presque fragile, c’est comme une reproduction de son père: même taille démesurée, même visage en longueur, même petite moustache au-dessus d’une bouche proche parente… Le contre-amiral Philippe de Gaulle, que l’anniversaire plus solennel que d’habitude du 18 juin 1940 a brusquement projeté en pleine actualité, a voulu rencontrer notre petit groupe «péquiste». Autour de la table, c’est lui le moins bavard des six. Non seulement réservé, mais d’une discrétion et d’une modestie qui ne semblent aucunement apprêtées. Il tient à dire que c’est nous qui l’honorons par cette rencontre… On a même l’impression qu’il le pense. La conversation l’accroche surtout quand elle ramène les deux sujets qui, de toute évidence, lui tiennent à cœur: son père et la carrière militaire…
La grande ombre…
Sur ce dernier point, on sent la détermination farouche de se faire connaître au delà de ce nom gigantesque qu’il a hérité. En termes mesurés, presque balancés comme la prose paternelle, il parle d’une voix étonnamment douce et ferme à la fois, de cette vocation militaire qu’il remplit depuis sa jeunesse. Une phrase revient à quelques reprises: «Porter l’uniforme, ce serait insensé si ce n’était pour assurer le maintien de l’indépendance nationale…» Quand à son père, comme dans ce propos, on le sent sans cesse présent, grande ombre qui flotte autour de lui, à laquelle il demeure farouchement attaché, même si elle risque constamment de l’étouffer. Il en parle assez peu, mais écoute avidement le récit légendaire du voyage au Canada, découvre quelque détail inédit, en cherche davantage, se laisse aller à des souvenirs personnels, presque intimes. On sent un mélange douloureux de pudeur et d’inébranlable loyauté. Il est le légataire universel de l’oeuvre — et aussi, poids terrible, de la légende…
Un rôle «national»?
Il est présentement la cible de l’impitoyable chronique parisienne, trop chaleureuse ou trop méchante. Bien plus jeune que ses 50 ans, d’une sensibilité dont on perçoit les frémissements sous l’impassibilité de commande, il impressionne par une sorte de candeur lucide qui fait soupçonner une force de caractère peu commune.
Parlera-t-on de lui aussi, un jour ou l’autre, dans un rôle «national»? L’avenir le dira. Il y songe inévitablement. Comment pourrait-il s’en empêcher? Mais quoi qu’il advienne, c’est au nom qu’il porte qu’on se rallierait d’abord. Cela doit être intolérable, à l’occasion, d’être fils de géant. La façon dont il subit cette épreuve, en faisant oublier les peines et en réduisant de son mieux les avantages, me semble proprement admirable. C’est le fait d’un homme qui a déjà bien mérité de lui-même…