Nous inaugurons avec le texte qui suit une nouvelle rubriques « Témoignages ». Il s’agira de courts textes où diverses personnes racontent une rencontre, une anecdote, un événement concernant René Lévesque. Nous invitons nos visiteurs à nous faire parvenir des témoignages, tout en nous réservant le droit de les publier ou pas.
Témoignage
Par Éric Gourdeau
Éric Gourdeau, ingénieur-forestier et économiste, a été l’un des premiers proches collaborateurs de René Lévesque en politique, notamment en matière de ressources naturelles et en ce qui concerne les relations avec les nations autochtones. Parmi les nombreux postes qu’il a occupés, tant dans la fonction publique que dans le secteur privé, notons qu’il a été, de 1964 à 1968, le premier directeur de la Direction générale du Nouveau-Québec, et secrétaire général associée au Secrétariat des activités gouvernementales en milieu amérindien et inuit (SAGMAI).
René Lévesque m’a été présenté au milieu des années 1950 par un robuste bûcheron dans mon chantier forestier du fief Hubert. Dans la jeune vingtaine à l’instar des 100 autres bûcherons et, tout comme la plupart, entré sur le marché du travail dès la 4e ou 5e année d’études primaires terminée, il était ce matin-là au travail après une courte fin de semaine au domicile de ses parents à Saint-Raymond de Portneuf.
Venu l’aider vers 10 heures à corder les nombreux « quatre pieds » qu’il avait tiré des sapins et des épinettes dans son « rond de bois » – une routine qui me valait chaque fois d’intéressants échanges – je l’entends soudain me demander si je suis au courant de la situation explosive qui sévit au Moyen-Orient; lui la connaît surprenamment bien; me cite des noms de pays, de groupes, de chefs d’État impliqués. Il a appris tout cela à regarder, la veille en soirée, René Lévesque au petit écran.
Avouant à la fois mon ignorance et mon intérêt, je l’assure que je deviendrai dès ce moment un auditeur assidu de l’émission Point de mire, dont il est enthousiaste étant donné, me dit-il, qu’il est tellement intéressant et facile de comprendre ce que René Lévesque dit avec simplement sa petite craie et son tableau noir.
Début septembre 1960, René Lévesque m’invite à venir l’épauler dans la réalisation de projets auxquels il estime urgent de s’attaquer, dont la création d’un important ministère des Richesses naturelles à partir du petit ministère des Ressources hydrauliques dont Jean Lesage lui a confié la direction.
Je me trouve soudain devant un homme à l’esprit clair, au langage direct et persuasif et qui exprime avec une profonde conviction sa foi dans le rôle primordial que doit tenir l’État pour assurer les nombreuses et nécessaires transformations à opérer dans la société, depuis l’épuration des mœurs politiques jusqu’à l’implication des Québécois dans l’édification d’une société ouverte sur le monde et sûre d’elle-même.
Je sortis de son bureau avec la nette impression d’avoir rencontré un véritable Homme d’État.
Une impression qui n’a fait que se confirmer et vraiment s’amplifier tout au long des années passées à travailler à ses côtés et à observer chez lui un comportement démocratique indéfectible, une incorruptibilité exceptionnelle et une profonde dévotion au bien commun, notamment à l’égard des petits de la société et des laissés pour compte.
C’est dans ce contexte de valeurs civilisatrices profondément assumées qu’il convient de retracer les réalisations marquantes de René Lévesque et celles accomplies sous son autorité de Premier ministre, que l’on mentionne la « nationalisation » de l’électricité, les lois sociales, la réforme électorale, l’assurance automobile, le zonage agricole, la loi sur la langue officielle du Québec, ou son intérêt et sa confiance profonde à l’égard des autochtones dont les ancêtres, en accueillant les nôtres, ont jadis assuré notre survie.
L’étroite association que René Lévesque a régulièrement présentée entre ses remarquables réalisations et sa fierté d’être québécois continuera d’inspirer celles et ceux qui persévéreront à croire possible l’élaboration de notre identité nationale par la rencontre d’idéaux partagés.