Pour la période des Fêtes, nous vous invitons à lire les vœux que René Lévesque publiait en 1974 dans le journal Le Jour. Sa chronique rapportait alors les propos d’un Américain et d’un Français posant tous deux un regard affectueux sur le Québec. Les témoignages de ce « voisin » et de ce « cousin » résonnent encore, malgré la distance.
Les membres du conseil d’administration de la Fondation et moi-même vous souhaitons de passer de beaux et joyeux moments avec vos proches. Que la prochaine année soit propice, comme l’écrivait René Lévesque, à « une solidarité nouvelle, assez puissante pour assurer à tous les nôtres ce mieux-vivre dans la justice et la liberté auquel tous les hommes ont le droit d’aspirer ».
Christian O’Leary
Directeur général
Vœux d’ici et d’ailleurs
René Lévesque
J’ai gardé pour les Fêtes deux lettres toutes récentes.
Elles constituent en quelque sorte des vœux, éloquents, chaleureux, que font à notre endroit une couple d’étrangers qui ont eu l’occasion de vivre un peu au Québec et de nous connaître.
N’importe qui aurait le droit d’être fier et content de tels témoignages adressés spontanément aux siens. À plus forte raison devraient-ils nous plaire à nous qu’une trop longue dépendance a rendus si incertains de nous-mêmes, si avides et inquiets à la fois de savoir comment les autres nous voient. Eh bien, en voici deux qui nous trouvent vraiment pas pires…
Le premier est un jeune Américain, Ezra Steinberg, que le Vietnam aura amené ici comme conscrit dissident. Il en a profité pour apprendre à nous exprimer en excellent français cette flatteuse nostalgie qu’il a conservée jusqu’à Washington :
« Depuis mon premier séjour dans la province de Québec à la fin de 69, motivé par le désir d’échapper au service militaire obligatoire à l’époque, écrit-il, j’ai gardé un vif intérêt pour votre évolution politique. C’est aussi cet intérêt qui m’a ramené au Québec pour y travailler. Par coïncidence, les élections provinciales d’octobre dernier* ont eu lieu et j’ai été passablement déçu. Pour plusieurs raisons, j’en ensuite quitté le Québec, mais je conserve mon intention de m’installer à Montréal un jour, mais dans un Montréal francophone. Par conséquent, j’ai décidé d’attendre que le peuple québécois prenne sa situation en mains et fasse preuve du courage, de la force et de la fierté dont il est capable et auxquels vous croyez sans aucun doute… »
« … J’espère, ajoute-t-il en terminant, que le parti restera cet outil démocratique que vous avez aidé à créer, parce que finalement l’œuvre d’un vrai parti du peuple est plus importante que celle même de l’indépendance (quoique je pense que l’indépendance se fera tôt ou tard à moins d’une défaillance d’esprit des Québécois qui serait à la fois déplorable et désastreuse)… »
Que dire à ce futur Québécois qui vous quitte sur sa « solidarité sincère », si ce n’est : « Amenez-vous donc tout de suite pour donner un coup de main! »
Utopie? Pourquoi pas?…
Le second est « Français de France », et s’appelle sauf erreur E. Mathieu. Sauf erreur, car autant sa lettre est aisément lisible, autant il a mis à la signature ce soin infâme que prennent tant de gens pour qu’elle demeure indéchiffrable! Quoi qu’il en soit, voici les propos que lui inspirent des souvenirs personnels, réveillés par des commentaires « divers » que provoquait récemment le voyage de M. Bourassa :
« Aujourd’hui, dit-il, je lis dans le Quotidien de Paris la conclusion de votre entretien : “Le seul prolongement humain important et authentique de la France, c’est le Québec”, et j’ai envie de vous donner mon accord.
Lorsqu’en 1965 je fis un court voyage au Québec, je ne me trouvai pas chez moi chez vous. Toutes les dimensions de l’espace atteignent là-bas une telle ampleur… Mais vos visages français me sautaient au cœur : je n’étais pas chez moi, j’étais chez les miens. Des miens pleins de santé, de gaillardise, d’entreprise, dont l’allure m’enchantait.
Puis je vécus quelques années à Madagascar où je fréquentais des Canadiens français et il m’arriva souvent de leur dire : “C’est à vous qu’il appartiendra d’assurer ici la relève de la présence française.” Ne pouvant être question de colonialisme, mais d’une sorte d’art de vivre où les rapports entre hommes ont de la chaleur, où le savoir se veut gai, où la liberté est une valeur universelle. Bien sûr, cette utopie ne deviendra que peu à peu vie quotidienne… »
En effet, mais comme dit par ailleurs le proverbe chinois : si tu dois faire un très long voyage, le premier pas est déjà la moitié du chemin… Seulement, il y faut aussi ce que notre correspondant nous souhaite en terminant : « longue vie, hardiesse et entreprise. »
Ce que j’essayais aussi, pour mon humble part, d’évoquer dans ces vœux que, selon la coutume politique, j’adressais ces jours-ci à tout le monde au nom du Parti Québécois :
« Cela n’empêche pas de souhaiter à tous les Québécois un Noël aussi détendu et joyeux que possible. Mais plus encore, pendant l’année qui vient, que l’on prenne conscience de la nécessité d’une solidarité nouvelle, assez puissante pour assurer à tous les nôtres ce mieux-vivre dans la justice et la liberté auquel tous les hommes ont le droit d’aspirer. »
Le Jour, Samedi 28 décembre 1974
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* Élection québécoise du 29 octobre 1973