Compagnon de René Lévesque à partir de 1962, Jean-Roch Boivin a été son chef de cabinet de 1977 à 1984. Il a été l’un des signataires de l’avant-propos d’Option Québec.
Avant de quitter le Parti libéral du Québec en même temps que René Lévesque au congrès d’octobre 19671, quelle était votre implication dans ce parti?
J’étais membre de la commission politique du Parti libéral du Québec (PLQ). C’était un forum où nous pouvions discuter librement de toutes sortes de sujets. Dans l’année précédente, nous avions surtout discuté du financement des partis politiques et des réformes constitutionnelles possibles. Nous étions juste un petit groupe. Je ne peux pas dire que j’étais un joueur important, mais ça m’intéressait beaucoup de participer de cette façon-là à un parti politique.
À quel moment avez-vous rencontré René-Lévesque?
J’ai rencontré René Lévesque en 1962 quand je lui ai offert mes services. J’avais un bureau d’avocat dans le comté de Laurier. C’est un hasard. Le beau-frère du secrétaire de comté de M. Lévesque était stagiaire dans notre bureau. Il nous avait dit qu’il avait besoin d’aide dans son comté. Quand Lévesque était entré au Parti libéral en 1960, il n’avait pas tellement aimé la composition de son exécutif. Il cherchait à remplacer plusieurs membres. En 1962, avant l’élection, nous sommes allés à son bureau, Rosaire Beaulé et moi, pour lui dire que nous étions prêts à lui donner un coup de main. Nous étions déjà dans le Parti libéral, mais il ne nous connaissait pas. Je suis rapidement devenu beaucoup plus actif, parce que Lévesque, l’homme, m’intéressait. Nous avons beaucoup aidé à faire la campagne de 1962. René Lévesque était toujours sur la route pour vendre la nationalisation de l’électricité. Nous autres, on restait sur place pour travailler dans le comté. Ce fut la même chose aux élections de 1966.
Nos rapports avec René Lévesque étaient assez périodiques, mais pas tellement fréquents, parce qu’il était député et ministre. Nous étions des avocats bénévoles dans son comté. C’est comme ça que je l’ai connu et que nous sommes devenus presque amis.
Dans l’avant-propos d’Option Québec que vous avez signé avec René Lévesque et d’autres2, vous indiquez que, six mois plus tôt, vous étiez une vingtaine de personnes à réfléchir sur la question Constitutionnelle. Est-ce que l’idée de la souveraineté-association était déjà formulée à ce moment-là? Comme ça s’est passé?
C’est assez drôle cette histoire-là. Nous cherchions une nouvelle voie constitutionnelle et nous en parlions librement, en prenant un verre, en mangeant. Finalement, nous nous sommes dit qu’il faudrait bien que quelqu’un accouche d’un texte. Ça se passait durant l’hiver 1966 et le printemps 1967. Suite à nos discussions, nous disions à M. Lévesque : « vous devriez nous écrire quelque chose! » Il répondait : « Oui, oui. Je vais y penser ». René Lévesque faisait comme il faisait tout le temps, comme j’ai appris plus tard qu’il faisait tout le temps. Après trois semaines, quand nous lui demandions s’il avait un projet, il répondait : « Non, pas eu le temps, pas encore. Bon, je m’en vais en Nouvelle-Angleterre, je vais arriver avec un texte ». Il revient de ses vacances sans texte. Puis à un moment donné, il a pondu son texte. Ce texte est devenu la première partie d’Option Québec. La partie manifeste.
J’ai d’ailleurs une anecdote. C’est Alain Stanké qui me l’a contée. Pour amener le débat au congrès du PLQ en octobre, il fallait une résolution du comté de Laurier qui a été adoptée en septembre3. La résolution présentée reprenait en fait ce texte de Lévesque. Nous avons alors décidé de la publier dans un opuscule. Je me souviens que nous en avons distribué plusieurs centaines au congrès. Je ne sais pas qui avait apporté le texte chez l’imprimeur Pierre Lespérance, peut-être est-ce Lévesque lui-même, mais cette personne n’avait pas laissé de titre. Comme les délais étaient très courts, ils ont alors décidé d’en inventer un! Je me souviens de la couverture cartonnée verte avec le titre en rouge : « Un Québec souverain dans nouvelle union canadienne ».
Ça vous donne un peu l’histoire de ce moment-là. C’était incroyable! On réfléchit à quelque chose au début de l’année 1967. On adopte une résolution au comté de Laurier en septembre. On quitte le PLQ lors du congrès d’octobre. Fondation du MSA4 en novembre. Lancement du livre en janvier. Congrès du MSA en avril. Et pendant tout ce temps-là, on travaille tous pour gagner notre vie. M. Lévesque est alors député et chroniqueur à Dimanche-Matin.
Nous savions très bien qu’une fois sorti du Parti libéral, à cause de la résolution, ça ne s’arrêterait pas là. Nous savions très bien que ça allait tourner en parti politique. Nous ne le disions pas comme ça. Nous disions que c’était un mouvement. Qu’on verra bien ce que les gens veulent. Il y a eu la réunion fondatrice du MSA chez les Dominicains5 au mois de novembre. C’était plein, 300 ou 400 personnes. On pensait bien que la publication du texte de René Lévesque allait donner un élan énorme à notre mouvement. Mais il faut avoir l’humilité d’admettre qu’on ne prévoyait pas de vendre 50 000 copies dans l’espace de quelques mois.
À quel moment avez-vous décidé de publier un livre?
Tout de suite après le congrès. Et surtout avec la fondation du MSA. Ça prenait un instrument pour publiciser notre idée. À partir de là, il fallait terminer le livre pour le lancer le plus tôt possible, pour attirer du monde à notre mouvement et après pour attirer bien plus de monde pour le futur parti que nous allions fonder. Cette démarche formait un tout. Quand les journalistes demandaient à M. Lévesque s’il allait fonder un parti politique, il répondait que nous verrions ce que les gens en pensent. Mais il était clair que les gens allaient vouloir aller plus loin. Il ne s’agissait pas de faire une démarche académique, il s’agissait de faire une démarche politique.
Option Québec s’est avéré un très bon instrument, mais nous ne savions pas que le retentissement serait aussi fort.
Au congrès du Parti libéral, vous attendiez-vous à ce que René Lévesque quitte sur-le-champ?
Nous nous en étions parlé avant et nous savions très bien que ça allait être reçu comme un chien dans un jeu de quilles. Il n’y a même pas eu de discussion dans le fond. Ce fut une mise à mort.
Nous savions que nous allions être obligés de sortir sur-le-champ. Mais nous ne pensions pas sortir du Parti libéral et nous en aller chacun chez nous. Nous voulions faire quelque chose. Nous nous sommes réunis en petit groupe une quinzaine de jours après le 5 octobre. Nous avons fondé le MSA. Là aussi, nous avons été surpris, dès le 19 novembre, car cette assemblée à la salle des Dominicains était pleine, tout le monde voulait adhérer à ce mouvement. Les adhésions rentraient et nous n’arrivions pas fournir. Il y a eu un congrès d’orientation en avril 19686 à l’aréna Maurice-Richard, il devrait y avoir 7000 à 8000 membres à ce moment-là.
En lisant Option Québec aujourd’hui, j’ai eu le sentiment d’une sorte d’urgence, de vouloir agir vite.
C’est en plein ça! On était pressé. On était presque fébrile. Option Québec, si on le lit comme il faut, on voit bien qu’il a été écrit rapidement.
René Lévesque écrivait dix pages de manuscrit. Il l’apportait à notre bureau d’avocat, la secrétaire le tapait. Puis, tout d’un coup, un autre dix pages, la secrétaire le tapait, etc. Jusqu’à ce qu’on ait tout le matériel pour l’apporter à l’éditeur et corriger les épreuves. Tout ça, c’est fait dans la hâte et au milieu de notre travail. Tout le temps dans la hâte. Ça pressait de lancer le livre. Ça pressait d’avoir le congrès du MSA. Ça pressait d’organiser la fondation du Parti Québécois en octobre 1968. Ça pressait tout le temps.
Dans Option Québec, il y a plusieurs textes de collaborateurs, comment ont-ils été sollicités?
C’est Lévesque qui est allé les chercher. Le texte de Parizeau, Lévesque est allé chercher son autorisation de le reproduire. Quant aux autres, plusieurs avaient déjà été publiés ailleurs. Nous avons eu les autorisations. Nous avons demandé à l’historien Jean Blain d’écrire la préface. C’était un sympathisant, un ami commun de René Lévesque et de nous, comme l’artiste Richard Lacroix qui a fait la maquette de couverture.
Le but était d’étayer la partie manifeste. De mettre un peu de chair alentour pour le lancer. Nous avons essayé de l’enrichir par la suite par notre action politique.
Et vous-même, à quel moment avez-vous adhéré à l’idée que la souveraineté était quelque chose de sérieusement envisageable, voire de nécessaire?
À l’été 1967. C’était pas mal gros d’« attaquer le Canada ». On y croyait, tout en étant réaliste. Tout a été décidé avant le congrès du Parti libéral.
Option Québec, c’était mettre franchement sur la table la nouvelle pensée constitutionnelle qui était nouvelle par rapport à ce qui se fabriquait depuis toujours comme propositions de statuts particuliers. Option Québec marquait une vraie rupture. Le Québec se donnait un statut égal à l’autre pour pouvoir ensuite négocier une entente avec le reste du Canada et participer au concert des nations. C’était une grosse montagne à franchir, que nous n’avons toujours pas fini de gravir.
L’idée a eu du succès. Ce sont des années difficiles à imaginer. Écrire une résolution, développer un discours qui l’appuyait, sortir du Parti libéral, publier Option Québec, fonder un mouvement puis un parti, et six après, prendre le pouvoir. Cette époque s’est passée très rapidement et nous étions pressés d’aboutir.
Dans Option-Québec, il y a évidemment l’idée de la souveraineté-association, mais aussi celle de l’État qui joue un rôle majeur comme instrument de développement de la société. Est-ce que pour vous et M. Lévesque, ces idées étaient indissociables?
C’était déjà acquis dans ces années-là. La Révolution tranquille continuait et nous trouvions qu’elle devait même être renforcée. L’idée d’un état fort au Québec était dans les airs et M. Lévesque était un ferme partisan de cette notion. Quant à l’association, elle semblait dictée par notre géographie, notre histoire et la place du Québec dans le Canada. Ce n’est pas entièrement détaillé dans le livre, car ce n’est pas un travail universitaire. Ce n’était pas le but non plus. La première partie est un manifeste et c’était la partie la plus importante pour appuyer le mouvement politique.
50 ans plus tard, est-ce que vous trouvez toujours qu’Option Québec demeure pertinent?
Oui, c’est encore pertinent. C’est tellement facile de parler après coup. Je suis certain qu’on a sous-évalué la partie immigration qui allait changer notre société en grande partie. De même, nous avons sous-estimé la mondialisation. Ça nous apparaissait moins évident alors. Nos économies sont tellement intégrées maintenant, l’économie du Québec, l’économie du Canada et l’économie nord-américaine.
L’idée de la souveraineté-association présentée par M. Lévesque lui apparaissait être une démarche logique. Il disait, pourquoi défaire une structure déjà pas mal intégrée, le Canada et le Québec, pourquoi mettre ça à terre et défaire ça. Pourquoi ne pas faire la souveraineté en même temps que faire une entente. Il voulait que ça se fasse simultanément. On se sépare et on s’entend. Vous remarquerez que le premier référendum demandait : « est-ce que vous voulez devenir souverain et faire une entente avec le Canada ? »
Plusieurs ont dit que notre démarche était un peu idéaliste. Mais c’est aussi parce qu’elle l’était qu’il y a beaucoup de personnes qui ont trouvé que l’idée était bonne.
Dans la vraie vie, il faudrait plutôt être indépendant pour que quelqu’un s’assoie à la table afin de négocier une entente. Dans le fond, il faut d’abord faire la souveraineté pour aboutir à la souveraineté-association. Alors, ça a tourné rapidement comme ça, dans le discours et dans la démarche.
Donc, si vous me demandez si je suis encore de cet avis-là, je réponds que je le suis. Mais ce serait très difficile à réaliser, parce que ça prendrait un partenaire qui voudrait bien le faire avec nous. C’est très faisable. Mais, actuellement, nous ne sommes pas dans la situation où nous avons un partenaire qui va nous aider à mettre en œuvre ce projet. L’idée reste difficile à réaliser dans cette forme-là.
Même si nous n’avons pas réussi ce que nous voulions faire, nous avons au moins donné une énorme fierté aux Québécois. Aujourd’hui, les Québécois savent qu’ils peuvent! Ils n’ont pas fait la souveraineté, mais ils savent qu’ils pourraient, s’ils voulaient, choisir un destin différent de celui du présent.
La société a changé. Ce n’est pas une question de degré. C’est une question de nature. Le mouvement indépendantiste a vraiment donné aux Québécois une assurance en eux-mêmes qu’ils n’avaient pas avant. Et nous sommes chanceux, il n’y a personne qui dit ici que nous n’avons pas le droit de faire la souveraineté, comme ce qui arrive en Catalogne. Avec Option-Québec, nous avons fait beaucoup de chemin.
Entrevue réalisée par Christian O’Leary, directeur général par intérim
L’année du 50e anniversaire d’Option Québec
Tout le long de l’année, la Fondation soulignera l’anniversaire de la publication de ce texte fondateur qui a marqué l’histoire du Québec en publiant sur notre site des extraits d’Option Québec et d’autres textes complémentaires. Voici un second extrait tiré du second chapitre « L’Accélération de l’histoire ».
Nous vous invitons à partager ces textes et à nous faire part de vos commentaires et idées qu’ils vous inspirent.
Option Québec a été réédité en 1997 aux Éditions Typo :
http://www.edtypo.com/option-quebec/rene-levesque/livre/9782892951400
Notes
1. Congrès du PLQ du 13, 14 et 15 octobre 1967
2. Roch Banville, Rosaire Beaulé, Gérard Bélanger, Marc Brière, Pothier Ferland, Maurice Jobin, Monique Marchand, Guy Pelletier et Réginald Savoie
3. 18 septembre 1967
4. Mouvement souveraineté-association
5. Les 18 et 19 novembre 1967 au couvent Saint-Albert-le-Grand
6. Les 21 et 22 avril 1968, le premier congrès du Mouvement souveraineté-association réunit quelque 1700 délégués à l’Aréna Maurice-Richard