Par René Lévesque
Nous avons choisi de garder les pieds bien à terre tout en gardant la tête haute pour voir le plus loin possible.
(Présentation du Rapport Cliche, mai 1975)
Ce petit livre vient de vous raconter à grands traits d’où nous venons et qui nous sommes, les uns et les autres. C’est- à-dire nous, du gouvernement 76-85, et « nos amis d’en face » du régime 70-76. Sans être parfaitement objectif, il me semble que c’est assez correct, factuel en tout cas…
Voici maintenant que votre serviteur a la prétention de scruter l’avenir : où allons-nous? Comment et par quels chemins s’y rendre le mieux possible? Drôle d’idée. Ce serait plutôt l’heure des souvenirs1… Et j’entends d’ici citer le fabuliste « Passe encore de semer, mais planter à cet âge ! »
Prétendre surtout planter le décor du futur, nécessairement flou et qui sera toujours indéfini jusqu’à ce qu’on ait le nez dessus. Quelqu’un n’a-t-il pas dit : Dès qu’on s’avance entre aujourd’hui et demain, c’est la nuit ?
Oh! bien sûr, on raconte aussi volontiers que demain est déjà inscrit dans aujourd’hui, et sans doute est-ce largement vrai. Sauf que l’homme, pardon la personne, n’a surtout pas le droit de sombrer dans le déterminisme. Que sera sera, je veux bien ; mais ce sera aussi, ce devrait être d’abord et avant tout ce que nous déciderons qu’il faut que ce soit.
Car il a beau n’être à personne, l’avenir n’appartient pas non plus aux robots ni aux « cerveaux » électroniques, pas plus qu’aux multinationales dont les budgets sont dix ou vingt fois le nôtre ni aux petits ou grands « boss » qui entretiennent chacun leur tour l’illusion de pouvoir mener choses et gens à la baguette.
Ça demeure une dimension en très grande partie pétrissable et modelable que l’avenir. À condition de le vouloir assez, individuellement et tous ensemble, et de se bien préparer à mettre la main à la pâte efficacement.
Bref, la seule source d’énergie — et de décision — qui soit à la fois souveraine et inépuisable, c’est notre matière grise. Il suffit qu’elle soit harnachée pour le bien, le nôtre en premier lieu, qui, s’il est vraiment le bien, ne peut être autre que celui de tous.
Ce bien, quel est-il ?
À nos héritiers de l’an 2000
C’est vous, de toute évidence, qui forgerez la réponse, vous toutes et tous qui avez présentement entre 10 et 25 ans.
En 2000, vous aurez de 25 à 40 ans. Vous serez en charge, comme on dit. Et nous, nous n’aurons plus guère qu’à vous regarder aller…
Mais en attendant… Que faut-il faire pour vous livrer un édifice collectif en meilleur état que nous ne l’avons reçu ? Quelle sorte de Québec devons-nous vous laisser en héritage ?
Autrement dit, c’est quoi le Bien indiscutable ? Admettons d’emblée que la question n’est pas facile, et vous le savez autant que moi.
Parce qu’on vous en pose, des tas de questions. Vous êtes sûrement la plus « sondée » de toutes les générations montantes depuis que le monde est monde !
Par exemple : qu’attendez-vous surtout de la vie ?
Et ça part tous azimuts…
Pour ceux-ci, c’est d’être libre, libre d’abord de faire ce que l’on veut.
Pour ceux-là, c’est une carrière qui soit gratifiante et qui mène quelque part. (Pas nécessairement aux fameuses cimes du succès : vous n’êtes pas autant que vos prédécesseurs truffés d’arrivisme.., peut-être parce que, pour la plupart, vos débuts dans la vie ont été moins durs.)
D’aucuns valoriseraient plutôt l’amour avant toute chose.
Celui-ci rêve de voyages et d’aventure. Celle-là tient mordicus — et pourquoi pas, grands dieux ! — à pouvoir combiner le plein temps professionnel et une vie familiale avec des enfants.
D’autres encore, sans trop savoir où ni comment, mais de toute leur ferveur, demandent à l’existence de leur fournir l’occasion de se rendre et se sentir utiles.
Ce qui pourrait rejoindre, subconsciemment, ceux et celles qui espèrent tout bonnement vivre bien dans leur peau.
Autant de têtes, autant d’avis. Ou presque. Si on essayait de démêler ça ?
J’allais ajouter : méfiez-vous. Mais à quoi bon Comme si vous ne connaissiez pas déjà ce cliché éculé de la sagesse des siècles : l’expérience est la somme de nos bêtises.
Et celui qui vous parle en est rempli. C’est du fond — et non du haut — de ce vécu qu’il ose vous proposer ce qu’on appelle en jargon des « priorités ».
Un monde vraiment vivable
Il faut bien commencer par la vie. Qui est belle, belle en soi, belle irremplaçablement.
Mais qui pourrait et devrait le devenir tellement plus.
Je regarde par la fenêtre. Le ciel est bouché aujourd’hui au-dessus de la ville. Et ce couvercle gris-noir est loin d’être uniquement naturel. En respirant, je sens bien que ce n’est pas tout à fait l’air marin… Dans cette brise, il y a nos propres poisons qui flottent avec ceux qui nous arrivent de partout. À certains moments, même, ça pue, pas d’autre mot.
Le regard s’abaisse vers l’eau du fleuve. Dire qu’elle n’est pas ragoûtante serait un euphémisme. Elle est toute parcourue de curieuses et inquiétantes striures. Et toutes ces choses suspectes qu’elle charrie n’étaient certes pas là le jour de la création — ni même longtemps après.
L’air, l’eau, sans quoi ne parlons plus de vie.
Or, nous les avons trop longtemps laissés l’une et l’autre à l’abandon, entre les griffes du monstre de la production industrielle et agricole, avec tous ses déchets.., auxquels s’ajoutaient joyeusement ceux de chacun d’entre nous ! Bercés par l’illusion de ressources illimitées : de l’air, il n’y a que ça ! et quant à l’eau, avez-vous vu comme c’est grand le Québec, avec ses milliers de fleuves et de rivières, ses centaines de milliers de lacs, et la baie d’Hudson, celle de James et le Golfe!
De l’eau, on en a même à revendre, paraît-il…
Oui, mais le Québec habité, lui ? On a fini, très récemment, par se rendre compte qu’il n’est guère plus étendu que la minuscule Belgique2. Et alors, de mettre les bouchées doubles. Mieux vaut tard que jamais. Ce n’est encore qu’un début, mais quel contraste — il faut bien le dire — avec ces années 70 où nous étions un véritable paradis de la pollution!.
On doit donc continuer le combat et l’accentuer pour le mener à bonne fin. En contrôlant les poisons à la source, c’est- à-dire, chez les producteurs eux-mêmes. Et d’ici à n’en plus produire, nettoyer les dégâts en misant sur les techniques les plus avancées. Car ce « monstre » de la production, comme je l’appelais il y a un instant, il sera toujours comme la langue d’Ésope : à la fois la meilleure et la pire des choses.
Puis la coopération avec les autres. À l’échelle continentale, sinon mondiale. Car l’air et l’eau ne connaissent pas de frontières et, comme les pluies acides à elles seules le démontrent amplement, notre modeste part du phénomène est chaque jour alimentée par l’apport d’autrui.
Ce qui n’est quand même pas une raison pour négliger de faire notre ménage à nous.
Amour de l’homme et amour de la terre car sans la terre, l’homme n’est rien…
(Bernard Clavel)
Avec l’air et l’eau, dont il a d’ailleurs besoin tout autant que nous, il y a le sol. Le sol nourricier. Mais qui a bien failli perdre à jamais cette « vocation » essentielle… Là encore l’illusion d’en avoir à ne plus savoir quoi en faire nous amenait jusqu’à ces dernières années à nous laisser déposséder sans mot dire.
Dans le comté où j’ai fini par être élu député en 76, il était une ville dont les comptes de taxes foncières s’en allaient pour près de moitié, si j’ai bonne mémoire, à Hong Kong, Zürich et d’autres capitales de la spéculation ! Et tous ces promoteurs qui nous fabriquaient des centres d’achat d’un champ à l’autre, suivis des constructeurs qui semaient de petites maisons, mobiles ou enracinées, dans chaque intervalle.
Non que j’en aie contre la ville. Même la ville qui grandit. À défaut de trouver ma grande ville au bord de la mer3, je me suis résigné à être citadin.., au bord du fleuve. On n’y est pas si mal. On y est même de mieux en mieux. C’est de Montréal que je parle, Montréal où comme disait l’autre mois en interview Jane Jacobs, cette apôtre de la Cité, sans laquelle, comme pour le soleil, les choses ne seraient que ce qu’elles sont:
« Il y a quelque chose dans cette ville, de l’électricité, du charme, de la douceur… On le sent dès qu’on débarque. Et cela, c’est la marque de toute grande ville. Montréal doit cependant s’occuper davantage de sa base économique. Il n’est pas suffisant de se présenter comme un important centre culturel, il faut aussi devenir un centre de remplacement des importations4… »
Bien sûr, il y a Ramsès qui est arrivé, et Picasso, pour bientôt, et puis la Chine éternelle dont M. le Maire, après d’autres, vient de négocier l’ouverture.., sur nous autres. Mais que dire de ces grands ensembles — bureaux, appartements —dont la construction a repris, de quelques quartiers complets que d’aucuns, l’Hydro en tête, vont retaper de fond en comble et des zones scientifi-techni-industrielles qui s’animent çà et là ?… On se croirait revenu à la veille de l’Expo.
Et dans tout ça, le Vieux Montréal ? Nous comprenons enfin que ces vieux coins, ce n’est pas sans raison qu’on s’y est d’abord installé : c’étaient les meilleurs. Après les avoir laissé pourrir honteusement, voici que peu à peu, de peine et de misère, on s’est mis à les revivifier. Partout au Québec, on refait du neuf avec le vieux. En l’An 2000, vous serez encore à pied d’oeuvre. Ne lâchez pas !
D’autant plus que la terre elle-même — j’y reviens — va vous aider. Étant désormais protégée, elle sera à l’abri de tous ces « développements » abracadabrants qui nous ont fait tant de banlieues littéralement sinistrées. Peu à peu, on va « revenir en ville ».
Et le sol, comme nos eaux, redeviendra à la fois productif et plaisant.
Il y a des plages dans l’Outaouais qui n’étaient plus « baignables » depuis une génération et qui le redeviennent cette année. Au bord de la rivière des Prairies, des hommes- grenouilles nous racontaient que là où, il y a deux ans, ils n’y voyaient qu’à trois pouces, c’est maintenant trois pieds…
Et nous, qui produisions de moins en moins les aliments que nous consommons, voici que nous allons atteindre le niveau sans précédent de 75% d’autosuffisance. C’est honorable.
Car c’était bel et bien déshonorant de nous laisser stériliser comme nous le faisions naguère. Dans un monde où la famine, intuable cavalier de l’Apocalypse, fauche encore grands et petits, l’avenir avec le présent, dans trois continents sur cinq.
L’Université du hamburger…
Justement.
À moins de signifier que nous allons faire tout notre petit possible pour aider ces frères humains qui crèvent tandis que nous nous empiffrons, la fameuse « ouverture sur le monde » ne sera que du vent. Des paroles verbales, disait l’humoriste.
Comment se fait-il, par exemple, que nulle part on n’ait vu ni entendu la moindre protestation contre cette « université du hamburger ? » C’était l’autre semaine, en fort bonne place à Radio-Canada… Or donc, Big Mac, le plus gros employeur d’Amérique et l’un des meilleurs fabricants d’obésité précoce, a bel et bien créé — noblesse oblige — sa propre institution d’Enseignement Supérieur, Science et Technologie, tout entière vouée à la gloire et au progrès continu des « all dressed and French fries ». Où l’on apprend entre autres choses écœurantes que, si la petite palette de boeuf n’est pas écoulée en sept minutes et le casseau de frites en dix, la règle absolue exige que le tout aille à la poubelle! Et le porte-parole de la multinationale du gaspillage de s’extasier : « Hein, qu’en dites-vous, chers clients ? Pareil souci d’hygiène, ça vous en bouche un coin ! » Comme l’autre, la saucisse que plus elle est fraîche plus on mange et plus qu’on en mange et plus qu’elle est fraîche…
Combien de millions de tonnes de nourriture ces bons Nord-Américains que nous sommes expédient-ils eux aussi à l’égout chaque année ? Oubliant même, contrairement aux Anglais si tendres pour… les animaux, d’apporter au moins le « Doggie bag ».
Bien sûr, nous avons également des pauvres. Des très pauvres. Sauf que prenons garde, il n’est rien de plus dangereusement élastique que la notion même de pauvreté. Je pense à ces vieilles dames de chez nous, seules et fières. Comme ma propre mère, qui ne prenait jamais un taxi parce que ça lui semblait une extravagance, et qui arrivait à vivre avec une pitance d’environ 5 000 $ par an… et qui était parvenue (on s’en est rendu compte après sa mort) à mettre de côté une somme époustouflante.
Alors que vous en voyez tous les jours qui font venir chauffeur et voiture pour aller chercher le chèque du Bien-Être…
Il y a pourtant de vrais pauvres parmi nous. D’ailleurs, je crains fort qu’il n’y en ait toujours. Souvent mal nourris, d’accord. Mais qui meurent de faim?
Quoi qu’il en soit, le revenu moyen est présentement de 30 000 $ au Québec. Pour les gens ordinaires du Bangladesh, du Sahel, de l’Équateur, nous sommes un peuple de milliardaires.
De grâce, allez voir un peu par là, vous nos héritiers. Pas voir pour voir, comme d’autres vont au pouvoir pour le pouvoir. Allez-y pour bien savoir, pour donner un coup de main, et vous préparer sur ce plan-là aussi à faire mieux que nous. À être meilleurs que nous, même si les yeux s’ouvrent de plus en plus, et les cœurs de même, par les temps qui courent.
Ainsi, c’était très beau, tout dernièrement, cette idée d’une collecte populaire pour l’Éthiopie, l’État s’engageant de son côté à doubler le montant… en dépit de certaines appréhensions comptables. Mais il n’y a pas que l’Éthiopie, ni que les trente secondes Télé de ce soir, autre instant de mauvaise conscience coincé entre deux « spots ». Cette idée, elle devrait par conséquent s’installer à demeure, et il n’est pas exclu qu’on y pense avant que votre tour n’arrive.
En attendant, partez donc…
Nous autres, il nous a fallu une ou deux guerres pour sortir un peu. Mais pour vous, admettez-le, c’est facile comme jamais de voyager : Office franco-québécois de la Jeunesse, Année Internationale, bourses, etc. Et puis, les parents d’aujourd’hui ne sont-ils pas généralement plus en moyens que ceux d’hier ?
Et dans vos bagages, ayez plein de curiosité et de fraternité en éveil. Ces deux-là surtout, ne partez pas sans elles…
Y a rien là ? Voir. Demandez à ce groupe de jeunes d’ici que j’ai vus sur le petit écran se démener là-bas en Haïti. À cette jeune fille en particulier qui racontait tout simplement, juste quelques larmes aux yeux, comment elle avait fait connaissance avec les « soins terminaux » en restant seule avec une pauvre vieille, la main dans la main, jusqu’au dernier soupir. Ou bien donnez un coup de fil, s’il prend des vacances cette année, à ce gars de Longueuil qui sert comme pilote avec les Ailes de l’espérance, volant solo au-dessus de la jungle amazonienne comme un Saint-Ex du plus admirable des Courriers Sud. Et puis Oxfam, ça marche encore ?
Vous pourrez être si vous voulez, tant que vous voudrez, ambassadeurs (non, seulement délégués) très spéciaux du Québec hors frontières. Nominations qu’on ne s’arrache pas jusqu’à nouvel ordre.
« On n’a jamais essayé la paix ».
(Alain)
Oh! que non. C’est pas comme la vie dans les Forces : magot, repos, dodo. Au Canada on peut au moins rigoler. Excepté lorsqu’on songe à l’addition.
Je vous raconte ça trois heures avant de prendre l’avion pour la vieille France, à deux jours du budget-guillotine de Brian Mulroney. Lui qui cherche désespérément où « couper », comme d’autres avant lui !
A-t-il pensé à ces beaux milliards sonnants et trébuchants qui se volatilisent dans la Défense ? Défense de rien ni de personne, par-dessus le marché. Placés là où nous sommes, la seule guerre qui puisse jamais nous toucher est Celle-là, celle qui nous mettrait à tous notre point final… « Et sans l’homme, ajoutait Clavel, la terre n’est plus rien non plus. »
Un coup de fil à Ottawa, peut-être ? Non, quand même. Chacun son métier.
D’ailleurs tous ces alliés qui comptent si fort sur nous, nous la Puissance internationale dont André Siegfried fut jadis le prophète, et à laquelle ce brave sir Wilfrid promettait le siècle tout entier, rien que ça.
Alors qu’en fait nous sommes une absolue non-puissance, avec un immense territoire, plein de ressources matérielles et des administrations publiques qui nous ont plongés dans une sorte de « faillite technique ». Que seul le préjugé favorable à l’Amérique anglophone permet de camoufler.
Faillite morale également. Au-delà de quelques bataillons qui peuvent servir çà et là de par le monde où notre histoire vierge d’impérialisme (sauf à l’interne) nous sert de passeport, nous faisons tranquillement partie des « marchands de canons ».
D’autres petits peuples se sont pourtant trouvé un rôle autrement plus noble et, à la longue, plus rentable sur le plan essentiel entre tous, celui de la paix… Il ne s’agit pas d’être pour le désarmement naïf, unilatéral, qui laisserait comme dans le vieux dicton la liberté au renard dans le poulailler… Mais bien d’exercer au maximum la pression de la conscience humaine, du respect de la vie et de tâcher en toute occasion de la rendre contagieuse.
De répéter entre nous, de le redire partout où nous allons, que rien ne saurait être plus criminellement scandaleux que ces fournitures de ferraille meurtrière à des satellites qui comptent souvent parmi les plus misérables des pauvres, et qu’on dresse ensuite les uns contre les autres. Et puis que gaiement ils s’entretuent.
Eisenhower, lui, il connaissait ça. De voir des jeunes fauchés par milliers, d’avoir eu lui-même à les envoyer à la mort. Il fut alors « Ike », Père la Victoire de 1945. Quelques années plus tard, devenu président des USA, il en parla un jour avec une simple et brutale concision qui demeure un modèle ; mais hélas, la guerre froide et l’abêtissement McCarthyiste devaient l’empêcher de passer aux actes.
« Chaque canon qui sort d’une usine, avait-il déclaré, chaque vaisseau de guerre qu’on lance, chaque fusée qu’on tire, signifie — en fin de compte — un vol au détriment de ceux qui ont faim et n’ont pas à manger, de ceux qui ont froid parce qu’ils ne sont pas suffisamment vêtus. Ce monde en armes ne dépense pas seulement de l’argent, mais la sueur de ses travailleurs, le génie de ses savants, l’avenir de ses enfants. Avec l’argent que coûte un seul bombardier moderne (1955-60), on pourrait construire plus de trente écoles neuves, ou encore deux usines d’énergie électrique desservant chacune une ville de 60 000 habitants, ou encore deux hôpitaux parfaitement équipés ou encore quatre-vingts kilomètres de route en béton armé. Nous payons pour un seul avion de chasse le prix de 1 500 tonnes de blé. Nous payons, pour un seul destroyer, le prix de nouvelles maisons que pourraient habiter plus de 8 000 personnes. »
Nous sommes condamnés à perpétuité
Sur ce, revenons chez nous.
Car ce vaste monde sans coeur, qui est par ailleurs en passe de devenir un tout petit village, il n’aura pas d’oreilles pour les placoteux du quartier. Put up or shut up, comme disent les Américains. On ne nous fera pas de cadeau pour nos beaux yeux. Nous n’aurons droit qu’à une considération strictement méritée.
Si nous voulons, par exemple, faire avancer la cause de la paix, il nous faut d’abord être pris au sérieux. Être vus comme des gens qui savent de quoi ils parlent et qui le prouvent aussi dans bien d’autres secteurs.
Celui en tout premier lieu de cette présence au monde que j’évoquais tout à l’heure en parlant de la lutte à la pauvreté et à la faim. Or, cette présence concrète, productive, compétitive, elle constitue également, pour notre propre survivance, une véritable question de vie ou de mort. Cela s’appelle avoir une « économie ouverte ». Nous devons et devrons de plus en plus savoir exporter pour vivre. C’est déjà 40 pour cent de toute la production du Québec qu’il faut vendre dans le reste du Canada, aux États-Unis, en Europe, en Asie-Pacifique, bref sur tous les marchés de l’univers, afin de pouvoir nous procurer en retour ce que nous ne produisons pas et dont nous avons quand même besoin.
Et c’est vraiment une sentence à vie que celle-là. Bien avant l’An 2000, la moitié et plus de nos emplois dépendront directement de nos dons de vendeurs et, plus encore, de la qualité des biens et services que nous prétendrons fournir aux autres.
Dieu soit loué, voilà justement ce qui est en train de se passer!
Bombardier à New York, à Mexico et en Chine. Nos ingénieurs-conseil sous tous les climats5. Hydro-Québec, dont les réserves d’énergie constituent plus des deux tiers de celle du Canada tout entier, et qui est reconnue universellement comme la meilleure de toutes les grandes sociétés d’électricité.
Surtout, la bienheureuse invasion de l’économie par les nouvelles générations. Ils arrivent enfin, les fruits de cet effort surhumain que le peuple québécois s’est imposé lorsque, au milieu des années 60, il a dû prendre conscience du dangereux sous-développement de ses ressources humaines.
Aujourd’hui, vous voyez des usines de pointe où la moyenne d’âge est de moins de 30 ans. Une PME d’équipement sportif, qui vend partout au Québec et, déjà, hors Québec et dont les dirigeants ne dépassent guère 24 ans. Et ces fonceurs presques juvéniles qu’on rencontre de Paris à New York et d’Alger à Hong Kong.
Aucun champ d’activité n’est à l’abri… Champions olympiques. Gagnants et gagnantes des examens pan-canadiens de comptabilité. Cette extraordinaire équipe du « Cirque du Soleil », petite ONU du spectacle pour jeunes de tout âge, et dont l’inventeur et patron a 25 ans bien sonnés…
La fin d’un mythe
Certaines illusions vont ainsi — ce n’est pas trop tôt — finir par se dissiper. Celle entre autres du beau petit dollar qui ne serait digne de nous que s’il est fort fort fort ! Alors que plus il monte, plus nous, nous descendons et nous affaiblissons partout, chez nous comme au dehors.
Il me revient une certaine campagne électorale. C’était celle de 1976, si j’ai bonne mémoire, et nous étions en vue de la victoire. Mais voilà-t-il pas que, tout à coup, notre Canadian dollar fléchit d’un gros tiers de cent ! Ce qui lui laissait encore une corpulence effarante : près de trois points au-dessus du dollar US. Aussitôt, pourtant, mon adversaire du jour de se déchaîner : « Un débat monétaire d’urgence ! Le dollar fout le camp et c’est la faute aux Péquistes. Un débat, mon royaume pour un débat ! »
Nous ne débattîmes point. Ce qui devait arriver arriva. Et notre chère petite monnaie, avec des retours de flamme de plus en plus faiblards, s’en est allée tranquillement vers ,80, puis ,75 et, aujourd’hui, se promène entre ,73 et ,72 US. Mais c’est encore pas mal au-delà d’une taille vraiment compétitive.
Bien sûr, nous vendons tant et plus à nos grands voisins du sud. Mais dans l’immense Communauté européenne, qui est de loin la première puissance commerçante du monde, nous nous prenons toujours pour d’autres. « Nous devrions nous retrouver, soulignait Peter Lougheed d’Alberta, dans le « panier monétaire » moyen6, et quitter ainsi notre maladive fixation sur le dollar américain. »
C’est « ben le fun » d’aller à Paris ou à Londres en ce moment. Tant de francs pour une piastre ! Quant à la livre sterling, oh boy ! Mais essayez donc de leur vendre nos affaires…
Ce ne sera pas demain la veille, malheureusement. Nous souffrons de « dollarite » héréditaire, transmise en ligne directe du fond de cette zone cervicale dont la fonction, une fois bien éveillée, sera de nous dicter le gros bon sens sur un sujet que d’aucuns s’obstinent encore à traiter comme de la magie noire.
Un jour viendra, qui d’ailleurs est en voie de se lever pour tous ces Québécois qui ont appris les relations et le commerce extérieurs ; le jour où l’on cessera d’aller se faire dévaliser à Old Orchard ou Miami, selon les saisons. D’autres Antilles à meilleur marché sont à découvrir au plus tôt, et tout ce qui fait la beauté des « vieux » pays, comme leur éternelle jeunesse. De même que le plus jeune de tous les peuples d’aujourd’hui : cet océan humain, en pleine révolution tranquille, la Chine multimillénaire.
Du coup, l’on apprendra également à produire ici une foule de choses qu’on importe depuis toujours sans trop y penser. À les fabriquer nous-mêmes aussi bien sinon mieux que les autres et, en tout cas, à moindre coût.
Mais il faudrait d’abord sans panique comme sans témérité, forcer ce sacré dollar à se donner la « forme » susceptible de le mener jusqu’aux éliminatoires : US ,70 $ ou même un peu moins.
[…]
« Repeat after me ! »
Cette poussière dans la galaxie, la Terre, c’est quand même un monde ! Et depuis la Tour de Babel, ce monde parle toutes les langues possibles et imaginables.
Si nous voulons nous y retrouver, pour comprendre comme pour exporter, il va bien falloir les apprendre, ces langues. À tout le moins les principales, les grandes véhiculaires. L’anglais, forcément, puisqu’il est de surcroît la langue du continent. L’espagnol qui, d’Europe en Asie, en passant par tout le Sud du Rio Grande, demeure lui aussi intercontinental. Puis le chinois, le chinois en Chine — c’est déjà quelque chose — mais encore à Hong Kong, à Singapour, en Indonésie et jusque… dans tous nos Chinatowns ! Déjà plus que le temps de s’y mettre.
Et le français, alors ? Qui n’a pas perdu, lui non plus, son universalité. Pas question d’oublier le «joual », ça fait partie du patrimoine. Mais tout de même, on a des croûtes à manger avant de toujours, d’instinct, évoquer en français « la fille que je sors avec » et « la maudite ascenseur ka veut pas marcher », etc., etc. Ad nauseam.
Vraiment curieuse, l’évolution que nous avons subie à ce propos. Curieuse ; pas drôle. Fut un temps où, en plus du français mieux qu’aujourd’hui, de l’anglais certes pas plus mal, on potassait le latin — propaganda vocatione — en vue possible du Grand séminaire tout en attrapant au passage un peu d’ancien grec par les racines.
Puis la « Réforme » vint. Dehors le cours classique. Mais hélas, comme ils disent en anglais, on jeta le bébé avec l’eau du bain. Pour descendre peu à peu, sur les traces des Américains, au niveau de l’école-cafétéria. Avec ces bouts-de-chou à qui l’on offre à onze ans toute la maigre salade des options-bidons. Jusqu’aux Cégeps qui maintiennent, pour occuper une noble foule d’enseignants proches du « burn-out », deux heures de philo obligatoire…
Dans ce monde où les Japonais — que d’autres suivront bientôt, veut veut pas — exigent d’un ouvrier qualifié, me dit- on, un bac comme strict minimum !
Bref, ça demeurera toujours vrai : l’éducation avant toute chose. Pas seulement l’instruction, encore moins l’érudition à la sauvette, mais l’ÉDUCATION, mot dont un fort bon synonyme est CULTURE.
Ça s’appelle en effet cultiver une personne, cette définition que le petit Robert nous fournit à « Éducation : mise en oeuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d’un être humain. » Donc le savoir, évidemment, un petit bagage de savoir brut ; mais le savoir-faire également ; et le savoir-s’adapter, de plus en plus ; le tout couronné par le savoir-vivre.
D’où il s’ensuit qu’une bonne dose de discipline est absolument requise. Il nous en faudra beaucoup, d’ailleurs, jusqu’à la fin de nos jours.
Pourquoi n’en exigeriez-vous pas tout de suite, dès la petite école, au lieu de ce parfait illogisme parental qui part une manif dès que l’autobus scolaire passe à plus de 50 mètres de la maison — et qui, au retour, vous lâche aussitôt dans le paysage comme des chiens fous, la clé au cou ?
Et pourquoi pas, ô horreur ! revenir aux devoirs du soir ?
Je viens justement de lire, ce 3 juin, en attendant au soleil les bonnes nouvelles de fin de journée, cette dépêche à propos de la « marée montante de médiocrité » que l’on constate « aux États »
« Washington. — Les devoirs du soir font un retour en force aux États-Unis où un nombre croissant d’éducateurs et de parents estiment qu’ils pourraient bien constituer le remède principal aux maux dont souffre le système scolaire américain…
« On souligne que le niveau de tous les examens a baissé et que même l’armée a été obligée de récrire ses manuels d’entraînement pour les mettre à la portée des recrues.
«En 1981, à la suite de la publication d’une masse de rapports plus catastrophiques les uns que les autres, était mise en place une « Commission nationale sur l’excellence de l’éducation », un groupe bi-partisan. Deux ans plus tard, la commission publiait son rapport…
« Selon elle, les écoles étaient assaillies par « une marée montante de médiocrité », qui menaçait l’avenir des États- Unis « en tant que nation et en tant que peuple. » Entre autres remèdes, la commission recommandait qu’il soit donné aux étudiants « beaucoup plus de travail à la maison que ce n’est le cas actuellement. »
Ce qui est bien peu en regard d’autres constatations qui, elles, sont proprement terrifiantes : de 20 à 27 millions d’analphabètes américains (un dixième de la population), dont treize pour cent de jeunes!
L’an dernier, la ville de New York suivie par l’État du Connecticut, imposait donc les devoirs du soir, à raison d’au moins vingt minutes par jour à l’âge de six ans et jusqu’à deux heures pour les plus grands. Avec l’appui de 59% des parents de l’élémentaire, et 67% de ceux du secondaire.
Du coup, divers cœurs sensibles autant qu’experts de clamer qu’on allait infliger à ces pauvres mioches une véritable vie de chien. « Of course. »
Donc, repeat after me… L’éducation, pas la sacrosainte « qualité de l’éducation = moindre effort », non. Mais l’éducation pas pour rire, elle, qui sera toujours comme le génie d’Einstein 10% d’inspiration et 90% de transpiration.
Plein emploi, faisable ? pas faisable ?
Et si l’on s’y met pour de bon, alors des jobs pour tout le monde ? Eh bien, non. Ça ne suffira pas. Pis encore, ça suffira de moins en moins, si l’on parle d’emplois pour ainsi dire « classiques », dans l’industriel, dans l’agro-alimentaire, dans les administrations, bref dans tout le champ de ces biens et services qui nous sont familiers.
Pour nous fournir tout cela, et tout ce qui s’en vient encore dans les mêmes rayons, et avec plein de surplus par-dessus le marché, dans quinze ans on n’aura plus guère besoin que d’un malheureux quart de tous les bras et cerveaux disponibles.
C’est très simple. Voyez monter cette immense usine ultramoderne, quasi-futuriste de Pechiney à Bécancour, ou à Laterrière près de Chicoutimi. L’une et l’autre vont coûter un milliard et plus. Il y a vingt ans, ce milliard aurait sans doute créé plusieurs milliers d’emplois nouveaux. Il y a dix ans encore, plusieurs centaines. Aujourd’hui ? « Nous croyons pouvoir assurer répondait pudiquement un patron d’une des grandes alumineries que je viens d’évoquer, le maintien approximatif des emplois existants… »
Et il en va de même partout. La voilà, la fameuse mutation scientifique et technologique. Elle est la plus sine qua non de toutes les conditions du développement économique en même temps que l’unique passe-partout qui puisse ouvrir l’avenir. Sans elle point de progrès, ni même de salut.
Mais ce qu’elle peut être enfant de ch… ! D’une cruauté froide et inhumaine, comme ces informatiques, bureautiques et robotiques qui nous emportent vers demain à vitesse grand V, balayant comme un raz-de-marée tous ces bons petits emplois à papa-maman qui ne reviendront plus jamais.
Rien à faire, c’est cela qu’il faut appeler de tous nos vœux. Qu’on l’appelle, ou qu’on le vilipende, d’ailleurs, ça viendra de toute façon. L’histoire est là pour nous rappeler, du cheval au moteur, de l’auto à l’avion, et de la radio à la télé au satellite, que pareil mouvement ne s’arrête pas. Et qu’on ne peut s’empêcher d’y entrer soi-même, juste y prendre du retard.
Mais où allons-nous, juste ciel, si désormais l’une des spécialités du progrès doit être d’engendrer du chômage ? Pour reprendre une phrase qui me fit naguère un peu de tort : « Où l’on s’en va, disais-je vers 1960, je n’en sais trop rien mais on y va vite ! »
Que fera-t-on, que ferez-vous, vous autres en l’An 2000, de tous ceux et de toutes celles qui risqueront ainsi d’être laissés pour compte ? Si quelqu’un, quelque part, avait trouvé la recette magique, on l’aurait bien su. Il n’en existe pas. Mais des recettes partielles qui, bout à bout, une cuillerée de celle-ci, une bonne mesure de celle-là, et vous brassez patiemment — ça oui, ça se trouve.
D’abord, dans cette vaste mine, à ciel ouvert et pourtant à peu près inexplorée : la distribution du travail. Distribution et bonification et, même, civilisation (au sens actif du terme) de l’emploi disponible.
Ainsi, pourquoi s’arracher le cœur jusqu’à épuisement total ? Surtout dans ces secteurs d’extrême « pénibilité », comme on les appelle en jargon sociologique. La retraite anticipée, ce n’est pas pour les chiens. On peut d’ores et déjà la prendre à 60 ans et, bientôt peut-être, à 55. À condition de l’avoir un peu préparée : comme ce « conducteur » du CN qui, nous saluant lors de son dernier Montréal-Québec, nous mettait à tous l’eau à la bouche, en décrivant les voluptés intersidérales qu’il escomptait de son poste de secrétaire du Cercle d’astronomie de la capitale !
Ainsi encore, par combien de métiers ou de carrières vous attendez-vous à passer de votre vivant ? Deux ? Allez-y voir! Plutôt cinq, au bas mot et, pour ceux et celles qui seront vraiment d’attaque, dix ou douze. Ce qui fera d’un bon nombre de nos futurs « chômeurs » des gens fort occupés entre deux emplois, courant de cours en stages de formation à des boulots sans cesse plus inédits.
Sans compter tout ce rattrapage qu’il nous reste à accomplir. C’est un fait brutal que nos meilleurs cerveaux en puissance sont encore trop nombreux à décrocher trop vite. Une foule de peuples continuent à nous manger une tarte sur la tête du haut de leurs performances universitaires. Non seulement sommes- nous dans une moyenne très moyenne pour les diplômes de premier cycle, mais aux niveaux de la maîtrise et surtout du doctorat, de vrais doctorats « top-niveau » (!), nous n’avons même pas commencé à faire le poids. Du travail, en voulez-vous en v’là !
Puis enfin, ce bel horizon flambant neuf du temps partagé. Mariage du cœur avec la raison. Je sais, je sais, on va répétant que la preuve est faite : ce n’est pas moins, mais plus d’heures que le travailleur voudrait travailler… Quelques offres rejetées, diverses expériences tristement ratées l’auraient bel et bien démontré.
Cependant, il viendra le temps où chacun et chacune tiendra à se tailler un horaire adapté à ses goûts et/ou à ses besoins. Par exemple, un couple pourra décider qu’elle ne travaille que deux jours par semaine, because les enfants, et lui trois, et que comme ça tout le monde sera mieux dans sa peau. Évidemment, ce ne sera possible que sur une base volontaire. Mais ça viendra, j’en suis sûr, parce que c’est une perspective tellement logique et généreuse à la fois.
Pas encore le plein emploi ? D’accord. Il faut bien vous en laisser découvrir par vous-mêmes… Sauf ce domaine, sans doute le seul que « feu les illusions » n’empêchera jamais d’être illimité, et qui recèle toute l’activité comme tous les trésors qu’on voudra bien en tirer…
«Là tout n’est qu’ordre et beauté »
Pleine et rentable activité…
La vie culturelle. Avec les « industries » qui en émanent en son nom. Pensée, peinture, musique, danse, poésie et autres écritures.
Les produire. Les faire connaître. Se faire connaître du même coup !
Et aussi, forcément, trouver à tout ça une place dans le « patrimoine »… Voilà le plus facile, ce que l’État accomplit admirablement, dès qu’il s’en donne la peine et… dispose de l’argent pour ! Par exemple, construire des musées, des salles de concert ou des bibliothèques, y a rien là. Mais réussir l’accouchement politico-bureaucratique d’une « Dame en couleurs » (Jutra) ou de « Partir… Revenir » (Lelouch), ça ne s’est jamais vu et ne se verra jamais.
Or, c’est de cet éternel mystère de la création qu’il s’agit, là où l’État n’a rien à voir. Pas plus que dans les chambres à coucher (P.E. Trudeau, dixit). Excepté qu’à instar des mécènes de toujours, quoique moins attaché aux formes qu’à la forme (du moins faut-il l’espérer), l’État conserve tout de même un modeste rôle purement tutélaire. Celui d’empêcher les vrais petits Mozart de se faire assassiner, tout comme les petits Rodin, les petites Sarah, et les futurs Félix, Céline et cie. Celui également de voir à ce qu’on ne les enterre pas vivants avant même qu’on ait pu les reconnaître, surtout chez eux.
Car ils pourraient fort bien, si l’on n’y prend garde, mourir de noyade précoce. Un soir ordinaire de 1985, on m’apprend ainsi que trois Québécois francophones sur dix se retrouvent branchés sur des canaux ontariens ou américains. Et cette proportion « déracinée » s’accroîtrait à un rythme vertigineux. Ce qui n’implique pas tellement la langue de diffusion — bienheureux les bilingues ! — que la manière dont le vouloir- vivre collectif risque d’en sortir ratatiné, folklorisé. On ne peut se taper indéfiniment 35 heures de Télé étrangère par semaine sans en venir à se mépriser ou en tout cas, à s’ignorer soi-même. Et à subir une espèce de dédoublement de la personnalité au bout duquel c’est le canal d’autrui qui est le nôtre, et le nôtre qui est devenu étranger…
Cela dit, pas question de fermer nos portes… ni nos postes. Bien au contraire. L’épanouissement passe par l’ouverture aux autres, aux autres langues, aux autres façons de vivre et de gagner sa vie.
Simplement, on ne doit ni accueillir ni arriver en visite les mains vides. La décennie et demie qui nous emmène au xxe siècle sera plus que jamais audio-visuelle. Cinéma, télévision, câble, vidéo et, toujours, cette bonne vieille radio : ça dévore, ça va dévorer toujours davantage tous les produits possibles et impossibles, du meilleur au pire, de l’esprit créateur comme de l’estomac mercantile, de l’imagination la plus sublime aux restes les plus platement réchauffés.
De ce jeu infernal il nous faut — c’est d’une nécessité proprement existentielle — tirer notre épingle, la plus fine, la plus pénétrante, la plus vraiment « à nous autres ». Et qui sache nous « tricoter serrés » les plus beaux morceaux du Québec vivant. Si beaux que… même nous on les admirerait !
Nous partirons de loin : le cinéma québécois, par exemple, occupe pour l’heure moins de trois pour cent du temps de nos propres écrans. Marginalisé chez lui à un point qu’aucun autre peuple n’a et n’aurait enduré. Quant à être exportable… Lorsqu’on commence par se boycotter soi-même !
Pas d’erreur, on parle ici d’une dure remontée. De beaucoup d’argent — ce qui manque le moins, d’encore plus de talent et, surtout, d’attention à l’ouvrage « bien faite » jusque dans le moindre détail. Comme, à leur manière, dans les quelques champs qu’on leur avait laissés, savaient y faire nos anciens.
Réapprenons. Et là, partout, je vous en passe un papier, ce n’est pas l’emploi qui manquera.
… Cependant, ça devrait sauter aux yeux : ce n’est plus du tout pareil et le début d’un temps nouveau, le voici…
Tournons la page
Finie, la Révolution tranquille. Fini, l’État-providence avec ses « toujours plus » qui ne sont jamais assez. F-ifi, n-i-snis, FINIS.
L’économie, c’est reparti. Si bien qu’en avril-mai, tous les emplois massacrés par la crise s’étaient réincarnés, même qu’on recommençait à en voir surgir des nouveaux, comme en 76-81. Oui, mais pas nécessairement les mêmes. Au contraire. De moins en moins les mêmes. Les jobs s’en vont dorénavant aux jeunes d’abord, aux qualifiés, aux fonceurs et fonceuses, à cette superbe « garde montante » dont parlait Jacques Parizeau. Mais plus malaisément, hélas, aux pères et mères de 45 ans en montant, soudés au même patron ou à la même machine depuis que leur monde est monde. Maladaptables, par conséquent. Et encore moins à tous ces jeunes inemployables : pas de scolarité pas d’emploi, pas d’emploi, pas même de métier.
Et puis ces beaux « grands soirs » de l’affrontement État vs-secteur public et parapublic, c’est révolu. On n’y peut rien, ça ne reviendra plus. Les interminables navettes Hilton-Auberge des Gouverneurs aux frais de la princesse, les si plaisantes éternisations des « négos7 », foutues. Telle la plus belle fille du monde, l’État ne donnera plus que ce qu’il a. Mieux vaut tard que jamais, là encore.
Mais il y a pire : les femmes débarquent ! Comme on disait des Allemands en France vers 40, 41. Ce n’est pas tout un chacun qui s’y résigne en soupirant « ainsi soit-elle »… Qu’on le veuille ou non, c’est pourtant, ça aussi, irréversible. Tant et si bien que je lisais, sous le titre le Business au féminin que déjà une entreprise sur trois appartient à une femme; que chez nos voisins du sud largement plus de la moitié des nouvelles PME sont lancées par des femmes ; et que tout ce qui s’appelle études en management, gestion et (virtuellement) multiplication de l’activité économique, c’est également de plus en plus investi par les femmes : donc, on n’a encore rien vu ! Va falloir s’y faire, minoritaires et semi-conscients d’être le véritable sexe faible, nous les hommes.
Un seul et unique ajout, avant de passer aux choses banales, quoique vitales, qui touchent directement les citoyens et citoyennes que vous êtes ou serez très bientôt.
Arrangez-vous, de grâce, pour être « au courant ».
« Être informé, c’est être libre »
Phrase que j’ai lue il y a fort longtemps et que j’ai toujours retenue, même si j’en ai oublié l’auteur. Parce qu’elle dit tout l’essentiel. Et l’inverse aussi est terriblement vrai : être mé, ou désinformé, en effet, c’est être esclave.
Ces chaînes-là, combien sommes-nous à les traîner ? Sans trop le savoir, puisqu’elles sont invisibles et qu’on peut s’y conditionner aussi vite et irrémédiablement que le chien du fabuliste.
Exemple bénin s’il en fut : je pose la question à 22 heures 30 ce 3 juin 85, au moment où monsieur Pierre Nadeau, vedette de l’émission Le Point, proclame que « Bourassa est le grand gagnant de cette soirée ». Moi je veux bien, sauf qu’il en sort avec la plus mince des majorités libérales recueillies dans les quatre comtés où l’on votait (si peu) aujourd’hui.
Et puis après ?
L’important, c’est d’arriver à se tenir au courant. À voir, c’est le cas de le dire, « au-delà de l’image ». Mais comment faire quand les médias se trouvent si massivement entre les mains de magnats ou de technocrates, et que le menu quotidien en est fixé, selon leurs propres vues ou celles d’une censure implicite, par des « chef de pupitre » qui règnent en coulisse ?
De tous ces grands et petits seigneurs dépendent le maintien ou la disparition de telle signature (by-line) comme aussi le bon ou le méchant titre de demain matin.
Or, la signature ou le dessin bien payé, le cinq-colonnes-à-la-une, les demi-portions de baby food radio-télé, qu’y a-t-il d’autre maintenant ? Pas grand’chose, puisque les sondages nous apprennent que c’est là, exclusivement là, que nous allons pour la plupart chercher 90% de notre « information ».
C’est-à-dire tout ce qui va mal… « Good news is no news », proclame le plus indiscuté des dictons du journalisme. Pour vendre du papier, pour attirer les commanditaires, il faut étaler jour après jour les « belles grosses accidents » d’Yvon Deschamps. Rien que du sang, de la rogne et de la grogne.
Les affaires publiques, l’économie, sont tout spécialement victimes de cette sinistrose professionnelle. Dès qu’il s’agit surtout de la vie politique, de ceux et celles qui s’y démènent tant bien que mal, aux prises avec la croissante complexité de chaque problème, tout est vu désormais par le petit bout de la lorgnette.
Passées les touchantes « lunes de miel » post-électorales, c’est très vite haro sur le baudet. Non seulement les médias trouvent-ils l’Opposition inefficace, ils ont maintenant pris l’habitude de se substituer à elle pour transformer en cendre et poussière jusqu’au moindre « bon coup ».
C’est, à mon humble avis, un gauchissement plutôt inquiétant de l’information. Il est susceptible, entre autres effets néfastes, d’écœurer pour de bon tous ceux et celles qui ont pu songer à quitter des carrières prometteuses pour consacrer quelques années de leur vie à l’action politique.
Mais comme il vaut mieux, en fin de compte, en rire qu’en pleurer, voici un petit apologue sur cet aspect plutôt déprimant des difficultés du pouvoir. C’est François Mitterand qui le raconte8, longtemps avant d’être élu à la présidence de la République française.
« Vendredi, 15 février 1974.
« L’autre soir, à Vienne, le chancelier Kreisky m’a conté cette histoire : Karl est fil-de-fériste. Il peut rester une bonne matinée assis ou debout en équilibre sur un fil de fer tendu à plusieurs mètres au-dessus du sol. Mais son ami Johann le défie d’y demeurer toute une journée. Vexé, Karl augmente les enchères et prétend que non seulement il tiendra le temps qu’il voudra, mais encore sur un pied. « En jouant du violon? » dit Johann.
« D’accord pour Mozart », répond Karl.
« Le lendemain, Karl s’exécute, monte sur le fil, se balance sur un pied, prend un violon, joue du Mozart et, pour faire bonne mesure, s’installe là une semaine. Quand il descend, pari tenu et largement, Johann, loin d’applaudir, se tait. « Eh bien, qu’en penses-tu ? » dit Karl. «Si tu veux que je sois franc, dit Johann, cela ne valait pas Yehudi Menuhin. »
Mitterand ajoutera : « Cette histoire servira à qui voudra ». Celui-là souhaitons-le, plongera quand même, à condition de bien savoir qu’en politique, il faut s’arranger, tout en perdant ses illusions, pour garder un certain idéal. (Cette fois, c’est Kennedy dixit.)
Québec « fara da se »9
Un peuple ne saurait, lui non plus, se passer de tout idéal. Il aura toujours besoin de rêver collectivement, et que de ses rêves sortent des projets.
C’est ainsi que, depuis 25 ans, le Québec politique a été constamment survolté. Le climat était tout chargé d’espoirs et d’attentes, qui nous ont menés à d’admirables réussites mais aussi, parfois, à de déprimants échecs.
Jetons un coup d’œil en arrière, et voyons d’où nous sommes partis, il y a juste un petit quart de siècle : ce qu’étaient alors nos « services » de santé ; ce système d’éducation moyenâgeux que Duplessis s’obstinait à appeler « le meilleur au monde » ; notre situation économique de porteurs d’eau pour les autres ; et puis nos bouts de chemin, nos riches avec « leurs » pauvres, et la désespérante habitude de se résigner à tout ça « parce qu’on était nés pour un p’tit pain »…
On s’en est sorti. Le long du chemin, qui a paru bien long alors qu’en fait ç’a été l’un des rattrapages les plus rapides de toute l’Histoire, on s’est aussi fabriqué un État moderne. Avec un appareil d’administration publique, un peu lourd sans doute, mais dont la compétence n’est plus mise en cause que par ceux qui se heurtent à son intégrité.
Alors, à ce peuple et cet État québécois, on a été nombreux à croire qu’il fallait l’indépendance, la souveraineté, pour accéder à la maturité pleine et entière. Pour votre serviteur comme pour bien d’autres, cela reste tout aussi vrai et souhaitable qu’au début de notre action, il y a 18 ans.
Mais ça ne se fera — le Référendum ne l’a que trop démontré — ni aussi rapidement que nous l’avions cru, ni sans doute de la même façon.
C’est progressivement que le « pays réel », continuant sur cette extraordinaire lancée que nous avons tâché de décrire, s’apercevra peu à peu que le mouvement est irréversible et qu’il va bien falloir le mener un jour à son terme.
Cela se produira, c’est inévitable. Pas tout à fait comme le fruit mûr tombe de l’arbre. Quand même… Mais à toutes fins utiles, d’une manière aussi normale et tranquillement indiscutable. Nous serons « dûs ».
D’aucuns diront sûrement qu’encore une fois c’est rêver en couleurs. Surtout en une période de démobilisation et — un nouveau mythe qui s’installe — d’individualisme à outrance.
Comme si l’égocentrisme était chose malsaine et de toute récente invention alors que, du plus noble au plus vil, il constitue l’essence même de la nature humaine. Mais jamais cet Ego ne survivra longtemps en vase clos. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul… »
Je suis moi-même, certes, mais qui est ce « moi » ? De quelles racines est-il issu, et combien sommes-nous de « moi » de la même espèce’?
Et ce sont tous ces individus qui, sans aucunement s’oublier, en se rendant compte simplement qu’on a toujours besoin de l’autre et vice-versa, franchiront dès lors ensemble ce pas qui les grandira tous et chacun.
Cet arbre qui cache la forêt
Donc, il grandit par lui-même ce peuple du Québec, et par lui-même il s’accomplira. À l’intérieur de ce régime fédéral auquel il a librement décidé de continuer à appartenir et dont il respectera comme toujours les règles du jeu — pourvu que celles-ci renoncent de leur côté à l’idée saugrenue d’entraver sa marche comme jadis Canut prétendant stopper la marée.
Ce peuple, je le voyais l’autre jour en survolant sa vallée du Saint-Laurent, plus vivant et plus sûr de lui qu’il ne le sent lui-même, dans cette vaste prairie printanière et généreuse, plantée d’une forêt d’industries chaque jour plus modernes.
Qu’il y subsiste quelques coupes sombres et, çà et là, des coins encore stériles, qui le nierait ? Cette bonne vieille et « poisonne » tradition d’absentéisme, par exemple, qui nous coûte à elle seule, vient-on d’apprendre, «près de vingt fois le nombre de jours/personnes perdus dans des grèves et des lock- out ».
Et de loin plus préoccupante, angoissante même, cette autre absence — celle des enfants, qui nous a fait dégringoler en une génération du plus haut au plus bas de tous les taux de natalité de l’Occident. Nous ne nous reproduisons même plus. À vous d’y voir, vous parents de demain, si tant est que vous aussi vouliez des héritiers ! Cette splendeur incomparable des petits qui sont petits qui sont en même temps une démonstration vivante de confiance en soi et en l’avenir10.
Parce que l’avenir, ce n’est pas une ressource naturelle. Lui, il est illimité. Et au fond de nous-mêmes, nous en sommes tous conscients. Même si, parfois, on a l’impression de se traîner dans un tunnel où « tout le monde est malheureux… malheureux tout le temps ! »
À qui la faute ? À la conjoncture, aux mille et une façons de la noircir, aux mauvais souvenirs de la crise qui perdurent après que le soleil a reparu… À chacun, à personne.
Mais aussi et peut-être d’abord, admettons-le, notre faute à nous du Parti québécois. Notre « très grande faute » d’être restés là, comme un boxeur groggy qui n’arrive plus à trouver son second souffle. Sonnés par la défaite référendaire, incapables trop longtemps de rajuster (comme on dit) le « discours », puis finalement nous entredéchirant comme la bête acculée qui se mord elle-même les flancs, nous avons été comme l’écran qui cache tout le reste.
L’arbre blessé, tout en craquements au coeur de sa propre mini-tornade, et dont branches et feuilles torturées, arrachées, empêchent de voir la forêt. Cette forêt du Québec vivant qui, par bonheur, a dès lors cessé de s’en inquiéter pour s’occuper de sa propre santé.
Est-ce à dire que ce serait la fin de nous ?
Une question de confiance
Jamais de la vie.
Nous demeurons — que nos détracteurs le veuillent ou pas ! — LE parti des Québécois.
Le seul qui n’ait jamais, que je sache, placé ses intérêts de clan au-dessus des intérêts supérieurs de la nation tout entière. Quitte à payer ça très cher à l’occasion.
Le seul encore qui ne soit pas devenu le genre de « vieux parti » dont le rôle est d’aimanter les opportunismes, le carriérisme et tous ces groupes de pression me, myself and I, pour lesquels les affaires publiques n’ont de sens ou de sérieux qu’à condition de bien servir les privées.., aussi privément que possible !
Voilà, me semble-t-il, ce que nos erreurs ne devraient pas effacer des esprits.
Pas plus que l’importance cruciale des défis qui ne cessent de se multiplier. Il n’est plus rien, ni dans le développement économique, ni dans le climat social, pas plus que dans la vie de tant d’entre nous, qui n’exige d’année en année, presque de jour en jour, de plus en plus d’attention et de « fini ».
Ce qui s’applique tout autant à cet édifice collectif: notre État national à parfaire, notre démocratie qui, comme toute autre, demeurera inachevée…
« Libérer l’avenir », ai-je dit en osant commencer cette post-face que, l’ayant abandonnée puis rattrapée je ne sais combien de fois ces derniers temps (ne dites pas que ça paraît, je le sais), je termine enfin, cahin-caha, sur la route Montréal- Québec.
Or, s’agissant de libérer l’avenir, ou qui ou quoi que ce soit, la première question à se poser c’est non pas comment le faire, mais pour qui ? Depuis tant et tant d’années que nous sommes là, en pleine « transparence », nous croyons que là-dessus notre réponse est crédible, en bien ou en mal, par et pour le peuple québécois.
Que d’autres en fassent autant et, le cas échéant, le prouvent.
Simple question de confiance.
René Lévesque
4 juin 1985
P.S. Mille mercis à tous ceux — messieurs Michel Lemieux et Pierre Fortin, en particulier — chez qui j’ai rapaillé pas mal de choses, le meilleur. Et bien sûr, au chef d’équipe et à l’éditeur qui savent attendre.
1 On remarquera que je n’ai pas dit Mémoires…
2 Belgique + 35 000 km2. Québec + 1 500 000 km2 !
3 On est Gaspésien ou on l’est pas! Quand on pense que Champlain avait le choix 1608, et aurait pu, comme les Hollandais peu après, « acheter » Manhattan pour quelques verroteries!
4 Voir plus loin: « La fin d’un mythe ».
5 Trois des dix plus grands bureaux du monde ont leur Q-G à Montréal.
6 Comme on dit le « panier d’épicerie ».
7 Tout un vocabulaire en voie d’extinction: «négo, dispo, qualité de ci» et multi quanti…
8 Dans La paille et le grain.
9 C’est Cavour, ou un autre, qui proclamait au siècle dernier que « l’Italie se fera par elle-même.»
10 Voir à ce propos «Investir dans les enfants», étude et recommandations aussi concises que lucides, publiées récemment par le Conseil des affaires sociales.
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Tiré de Au delà de l’image. Bilan 1970-1985, (sous la supervision de Jules-Pascal Venne), Montréal: Québec/Amérique, 1985, pages 191-223. Ce texte constitue en quelque sorte la postface de cet ouvrage.
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