Alors que le monde s’apprête à franchir le cap des années soixante, que les commentateurs y vont de leurs savantes analyses sur la turbulente décennie qui vient de se terminer, René Lévesque, inspiré par Ronsard, accouche d’un poème qui, en quelques strophes, saisit l’époque.
On a tué au Vietnam au Biafra
On a tué au Sinaï, en Algérie
Che Guevara est mort en Bolivie
Mais Papa Doc en Haïti est toujours là
Tant d’espoirs si tôt passées de vie à trépas
Kennedys de Dallas et de Californie
Tant de fleurs au panier adieu Jackie
Onassis sur son yacht Trudeau à Ottawa
Le riche s’enrichit les gros font de la graisse
Au lieu de liberté des colonels en Grèce
Et contre l’inflation on chôme à Montréal
Cadillacs à crédit et vieux pauvres qui brûlent
Innombrables enfants qu’une faim ridicule
Fait mourir dans un monde où le blé se vend mal…
…
Bientôt la mini-jupe a suivi la pilule
On n’a plus eu du tout les femmes qu’on avait
Fini le temps des bébés qu’on faisait
Pour remplir les berceaux et souvent les cellules
Barbus aux cheveux longs cibles de belles bulles
D’excommunication des imberbes inquiets
Êtes-vous beaux ainsi ou bien si laids ?
Qu’importe si par vous de vieux tabous reculent
On est moins hypocrite et on est plus instruit
Deux grands pas même si c’est loin du paradis
Que Réal seul s’obstine à promettre sur terre
Si la bombe fait peu la fusée n’a porté
Qu’un homme dans la lune et c’est de ce côté
Qu’un jour la paix viendra dans l’interplanétaire…
…
Un jour enfin l’école vint
Partout la secondaire
Pour tous l’espoir de faire
Finir par finir le « p’tit pain »
Révolution sans grands machins
Qui change tout sans rien défaire
Et demain ses contestataires
Seront ses meilleurs citoyens
Un peuple entier vient de renaître
Dont le passé n’est plus seul maître
Qui va oser vivre au présent…
Mon vieux Québec, tout jeune adulte
Ton renouveau te catapulte
Vers la liberté simplement…
Ce texte est paru dans Le Clairon de Saint-Hyacinthe, le 31 décembre 1969.
Éric Bédard