Le Canada français commémore aujourd’hui l’acte héroïque de Dollard. La fête de ce héros est certainement le jour le plus propice pour parler de choses canadiennes. Au-dessus de tout il serait bon, ce me semble, de voir en quelques lignes nos raisons dans notre désir de demeurer semblables le plus possible à nos ancêtres français, dont Dollard est une des gloires.
Nous entendons beaucoup parler aujourd’hui de survivance française au Canada : des mouvements se forment, l’Action libérale par exemple : nos patriotes se multiplient, la propagande se fait activement : enfin, les Canadiens-français, du moins les plus éclairés, désirent fermement rester fils de la vieille France.
Cependant, pour beaucoup, les raisons qui se présentent en faveur de cette survivance sont encore obscures ou peu précises.
Repassons donc brièvement les plus importantes… j’en trouve cinq :
D’abord, notre origine française : en effet, les découvreurs du Canada, les premiers colons canadiens étaient français, et tous nos ancêtres aussi. Notre devoir envers nos pères, c’est bien certainement de demeurer fidèles à cette origine.
Secundo, notre Histoire. Ces glorieuses annales, où chaque page raconte quelque action héroïque, fut écrite par les Français, lesquels Français nous les ont léguées. A nous donc de les conserver soigneusement, et pour cela nous devons demeurer les fiers descendants des grands hommes dont elles narrent les hauts faits.
Tertio, notre religion et notre langue. « La langue est la gardienne de la foi. » Voilà pourquoi je lie ces deux divisions.
Entourés par les protestants, par la presse, les revues et les livres protestants, presque invisibles dans cet immense fourmillement des 137,000,000 d’Anglo-saxons qui nous enserrent nous sommes menacés, non de coups de foudre, mais de lente et sournoise pénétration. Devant ce péril nous n’avons d’autre défense que la lutte, et la lutte pour la vie, i.e. pour la survivance.
Quarto, la mission de notre race. « La nation française, a dit Lacordaire, a une mission à accomplir dans le monde ». En Amérique, c’est à nous, fils de cette même France, que revient la mission : ce devoir n’est autre que de projeter sur l’Amérique matérialiste la lumière de la culture française… de la culture spirituelle, que, seuls, nous y possédons. Or, pour ce faire, tout le monde le comprend, nous devons demeurer « intégralement » français.
Enfin, comme cinquième et dernière raison, j’invoque l’intérêt très prosaïque. Nous perdons en notre pays, nous, Canadiens-français, des sommes immenses, dans toutes les branches, de la finance, du commerce, de l’industrie et de l’administration. Devenons plus fiers, réclamons aux Juifs et aux Américains, au lieu des postes méprisables que nous possédons, les positions élevées qui nous sont dues, réclamons-les et sachons les atteindre : Du jour où cela sera accompli, nous pourrons nous dire maîtres chez nous, mais de ce jour-là seulement.
Conclusion : Encourageons toujours de toutes nos forces les patriotes éclairés qui s’occupent de nos intérêts et les défendent, car de leur œuvre dépend l’avenir de notre race en Amérique.
René Lévesque
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Article paru dans le journal L’Envol (Séminaire de Gaspé), en mai 1936. Également reproduit dans Le Devoir, le 7 décembre 1976.