Les 4, 5 et 6 décembre 1981, à Montréal, le 8e congrès national du Parti Québécois se déroule dans un climat survolté. Déjà meurtris par la défaite référendaire de mai 1980, les quelques deux mille délégués réagissent avec colère aux résultats de la conférence fédérale-provinciale de novembre sur le rapatriement de la constitution qui s’est terminée par l’alliance du gouvernement du Canada avec les autres provinces contre le Québec, isolé, trahi et bafoué.
Ce Canada, les congressistes le rejettent sans nuance et adoptent une résolution qui préconise une souveraineté pleine et entière, à l’exclusion de toute forme d’association. Puis, une seconde résolution qui affirme que l’élection d’une majorité parlementaire même sans majorité des suffrages exprimés, donnera au gouvernement du Parti Québécois le mandat de réaliser la souveraineté. Enfin, diverses interventions manifestent une certaine intolérance, pour ne pas dire plus, envers la minorité anglophone du Québec et les communautés issues de l’immigration.
René Lévesque fulmine. À la clôture du congrès, il en dénonce les dérapages et laisse planer son éventuelle démission de la présidence du parti.
Après réflexion et consultations, il couche sur papier son analyse de la situation qu’il entend présenter au conseil exécutif national et la démarche qu’il proposera pour corriger la situation; ses notes ne sont pas datées, mais on peut les situer à la mi-décembre.
En janvier l’exécutif approuvera la démarche proposée, soit un référendum interne auprès de l’ensemble des membres, avec trois questions qui reprennent les idées esquissée par René Lévesque dans ses notes :
- L’accession du Québec à la souveraineté devrait-elle, pour se réaliser de façon démocratique, exiger l’accord majoritaire des citoyens?
- Tout en éliminant le lien obligatoire qu’on établissait jusqu’à maintenant avec la souveraineté, notre programme devrait-il comporter l’offre concrète d’une association avec le Canada?
- Le parti ne devrait-il pas réaffirmer son respect et son esprit d’ouverture à l’endroit de tous les Québécois, quel que fût leur origine ethnique ou culturelle, reconnaissant en particulier le droit de la minorité anglophone à ses institutions essentielles, d’enseignement et autres?
Le référendum interne se déroule par la poste de la mi-janvier au début de février 1982. Sur les 292 888 membres en règle, 48,8% se prononcent et 95% d’entre eux répondent oui aux trois questions. Le congrès national tenu les 13 et 14 février en incorporera les notions dans le programme officiel du parti.
Fac-similés des notes
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Transcription des notes
Depuis une semaine, je me suis débattu de mon mieux avec l’alternative suivante.
D’une part, il y avait un goût très vif de partir et de retrouver enfin une vie personnelle. Après 21 ans de vie publique, il me semble que c’est non seulement un goût normal, mais que ce serait légitime aussi. D’autant plus que je me sens d’aucune façon irremplaçable.
D’autre part, il y avait le devoir d’état, comme on dit. Hors du parti comme au-dedans, beaucoup de gens m’ont souligné que, dans les circonstances présentes, le départ équivaudrait à lâcher au pire moment pour le gouvernement, peut-être aussi pour l’intérêt immédiat du Québec, et très certainement pour notre option politique.
Mais la crise du parti, et tout autant la manière dont elle a éclaté, enlèvent tout son sens à cet argument à moins d’un redressement rapide et vrai de la situation.
Autrement, je ne vois ni le gouvernement ni le caucus capables de rencontrer avec la sérénité et la solidarité indispensables la masse sans précédent de difficultés auxquelles il faut faire face : économiques, financières et budgétaires, fédérales-provinciales, constitutionnelles, et sans doute sociales également.
Réflexion faite, suite aussi à toutes les consultations possibles et à la multitude de réactions spontanées qu’on m’a fait parvenir, j’en suis donc arrivé à ces deux conclusions :
– Non seulement je ne suis pas intéressé à présider le parti si l’on ne corrige pas le virage aberrant du 8ème congrès, mais très vite, j’en suis sûr, le poste de premier ministre deviendrait lui aussi intenable, et l’existence même du gouvernement serait mis en danger.
– Inacceptable quant au fond, l’allure qu’on vient de donner au parti ne correspond nullement à son vrai visage : il semble évident que l’ensemble des membres et des militants ne s’y reconnaissent plus. Inutile d’ajouter qu’une telle embardée n’aurait pas la moindre chance d’être suivie par la population.
En conséquence, je propose au Conseil exécutif une démarche en vue de clarifier, entre nous comme aux yeux de tous concitoyens, la position du Parti Québécois sur certains principes fondamentaux de son action que le congrès a jetés par-dessus bord.
D’aucuns croiront sans doute au chantage. Qu’ils crient tout leur soûl, comme ils l’ont fait récemment pour créer la confusion dont ils ont profité pour lancer le parti dans une voie mauvaise et sans espoir.
Pour ma part, la seule chose qui me préoccupe, c’est que nous vivions enfin une minute de vérité dont la nécessité est désormais évidente. Après les ambiguïtés et les tiraillements que nous avons vécus, que soit fournie à tous ceux et celles qui ont bâti et font vivre ce parti, une occasion à l’abri des manipulations de dire, chacun et chacune pour soi, leurs idées sur les exigences morales et politiques de notre option. Je suis convaincu que ça répond à leur attente. Et si les résultats n’étaient pas ceux que j’escompterais avec confiance, alors c’est que nous aurions fait fausse route depuis 14 ans. Mieux vaut tard que jamais pour le savoir.
Très simplement, voici la démarche que je propose :
1- Premièrement, que le conseil exécutif ordonne la tenue dans chaque comté d’une consultation de tous les membres en règle au moyen d’un référendum, fin janvier, début de février. Les membres seraient ainsi appelés par scrutin secret, à dire oui ou non à une seule question qui porterait sur les trois volets suivants :
– accession démocratique à la souveraineté
– offre d’association économique avec le Canada
– respect de la diversité et rejet de la discrimination.
Ce référendum serait précédé de la publication d’un bref manifeste explicitant ces principes généraux.
2- Deuxièmement, comme les résultats d’un tel vote, quels qu’ils soient, ne peuvent formellement lier le parti, ni dans son programme, ni dans son action, je propose de plus que l’on convoque sans délai (mi-février) un congrès national extraordinaire dont l’ordre du jour serait :
– d’inclure dans le programme les résultats du référendum;
– d’annuler les résolutions adoptées par le 8ème congrès, et en suspendre la suite;
– de mettre sur pied une commission qui ferait une revue complète de nos statuts et du mode de fonctionnement des congrès.
Lors des assemblées générales qui devront nécessairement précéder ce congrès, les membres pourront soit élire de nouveaux délégués, soit reconfirmer ceux qui ont participé au 8ème congrès.
Si ce congrès extraordinaire révèle que je me suis trompé sur le sentiment de l’ensemble du parti, j’en tirerai les conclusions qui s’imposent quant à moi.
De la même façon, je prierais tous nos collègues des diverses « instances », y compris ceux et celles qui siègent à l’Assemblé nationale, d’afficher clairement leurs convictions et d’en accepter également les conséquences.