Vendredi, 28 juillet 1972
Reprenons aujourd’hui la lecture de la presse, dont l’accueil a été assez extraordinaire. Les principaux journaux parisiens, en particulier, ont fait à cette tournée un sort sans précédent. Le «Monde» lui-même, trois jours d’affilée, s’est montré objectif et, dirait-on, compréhensif. Nous reviendrons à cette «ouverture» parisienne…
Pour cette fois, après les échos de Caen d’il y a quelques jours, allons voir du côté belge. Avec photo de groupe, voici comment le «Soir», le grand quotidien de Bruxelles, résume notre journée québécoise…
…«Je suis une pelure de banane ambulante», dit-il. Les propos de René Lévesque, président du parti indépendantiste québécois, prennent une saveur particulière à Liège, où il accostait jeudi, en même temps qu’une exposition «Reflets du Canada», montrée par les délégués du gouvernement central de son pays! M. Lévesque a entamé sa visite en Belgique par la Cité ardente. Il venait de France. Après avoir été reçu par le bourgmestre, M. Destenay, il a été, le soir, l’hôte de l’Association «Le Grand Liège».
«En sa qualité d’historien, M. Jean Lejeune, président du «Grand Liège», a évoqué «les problèmes identiques de formation d’une nation dans un contexte identique. En Belgique, deux ethnies, la partie flamande affirmant sa majorité en face d’une Wallonie minorisée avec toutes les conséquences qui font que nous sommes anxieux».
Pas de solution minimale
«Au Québec, dira M. Lévesque, une communauté francophone majoritaire qui, ayant pris conscience de son existence, entend disposer d’elle- même et refuse la direction, l’administration par des anglophones représentant le pouvoir central.
«Le Québec est une colonie intérieure francophone dans un État souverain anglophone», a-t-il dit. Il a répété l’importance de la promotion des ressources humaines du Québec qui a finalement conduit un peuple de six millions d’habitants à constater que le cadre juridique et légal dans lequel il se mouvait, et qu’on lui imposait, lui allait aussi bien qu’un costume de garçonnet peut aller à un adulte. Sur ces six millions d’habitants, 80% sont des francophones, les 20% d’anglophones détiennent les pouvoirs essentiels, dit-il, et les nouveaux arrivants, les émigrés, se mettent évidemment «du côté du manche», le pouvoir. «Il n’y a pas de solution minimale possible, a-t-il dit. Une seule est logique, c’est l’indépendance».
«Aux dernières élections, un an et demi après sa formation, le jeune Parti Québécois a obtenu 24% des suffrages exprimés, soit un tiers des voix francophones. Les sondages actuels, confirmés par les adversaires politiques, lui donnent 35% des voix. «Le gouvernement Trudeau est en danger de mort, a poursuivi M. Lévesque, et, dans deux ans, le Québec sera peut-être indépendant. La vieille fédération pourra invoquer une vieille légitimité juridique. Mais juridiquement, il n’y a pas de réponse. La solution sera politique, et nous accéderons à l’indépendance par des voies démocratiques. Elle est dans la logique de notre développement, nous devons nous aérer, c’est nécessaire à la santé psychologique de notre peuple. Nous négocierons une nouvelle association avec les autres provinces du Canada, calquée sans doute sur la manière dont l’Europe se construit».