Mardi, 1er août 1972
Le dossier québécois…
Drôle de voyage: «ancien ministre>, (ce qui compte encore dans les vieux pays… heureusement) mais pas député, représentant un parti important mais pas au pouvoir, avouerai-je que je ne savais trop par quel bout prendre ça? Surtout dans un contexte aussi «formaliste» et porté sur les relations orthodoxes que celui des milieux politiques européens ou des «cercles bien informés>, qui gravitent alentour… Mais j’ai l’impression, à la fin de ces 15 jours semi-officiels, que ça n’est pas trop mal allé. Grâce d’abord à l’intérêt désormais bien enraciné, étonnamment au courant aussi, que l’on porte au «cas» québécois. Partout où j’ai pénétré en France — chez les membres du gouvernement comme chez les fonctionnaires, chez les écrivains ou journalistes comme dans les milieux économiques, et même à gauche chez socialistes et communistes qui naguère nous ignoraient systématiquement — on trouve maintenant une assez claire perception de notre dossier et d’ordinaire une solide information de base. (À laquelle, dois-je ajouter, la remarquable «préparation du terrain» effectuée par François Dorlot, étudiant québécois et animateur des Associations France-Québec, n’a pas peu contribué…)
Le PQ et le reste…
La vitalité même du Parti Québécois y est également pour beaucoup dans cet accueil assez exceptionnel qu’on nous a fait. C’est un phénomène qui commence à être connu dans les autres pays francophones, là surtout où les relations avec le Québec (intellectuels, artistes, étudiants, touristes) sont assez intenses et suivies. Il y avait donc cette réputation du PQ qui nous avait précédés. Et puis aussi, hélas, l’image tragiquement insignifiante du gouvernement actuel. Je devrais dire: des gouvernements actuels… Aussi bien celui de Trudeau dont on mesure mieux à l’étranger la chute vertigineuse, que celui de Bourassa dont on s’arrange pudiquement pour ne jamais [en] parler… Hélas — je le répète — car cela illustre bien le recul catastrophique d’une «présence» québécoise qui cherchait à tâtons mais activement, jusqu’à Daniel Johnson, à s’affirmer de façon normale. Aujourd’hui, on a l’impression que tout cela est comme en veilleuse. Une chose qui m’a frappé: pas une seule fois, on n’a évoqué devant nous le chef actuel du gouvernement québécois ni aucun de ses ministres (sauf M. Castonguay) qui ont pourtant bourlingué en Europe à quelques reprises depuis deux ans… C’était comme si l’on voulait éviter de nous faire de la peine!
«Dites-nous plutôt»….
De ce côté de l’Atlantique, chez ceux en tout cas qui suivent un peu attentivement notre évolution, il est clair que le PQ est perçu comme l’éventuel «interlocuteur valable» pour le jour où le Québec finira pas se brancher. Autrement, on ne voit plus très bien pourquoi l’on se foulerait à suivre et interpréter les va-et-vient peureux et les «quétaineries» villageoises de nos provincialistes attardés. Un Québec-pays, c’est une perspective intéressante. La «belle province», sauf comme survivance, ça n’a guère plus d’intérêt que le Dakota du Nord ou la Virginie occidentale… Mais on comprend assez mal que cela soit si malaisé à démêler, si long à décider. Non seulement personne, dans aucun milieu, n’a-t-il demandé sérieusement si un Québec indépendant serait viable — mais bon nombre de gens ont d’emblée écarté ce genre de faux souci par des remarques comme celle-ci: «Avec un budget et des ressources humaines et matérielles comme les vôtres, vous seriez dès le départ parmi les 12 ou 15 sociétés les plus «avancées» du monde, alors dites-nous plutôt comment vous concevez les éventuelles politiques sociales, économiques, internationales, d’un État québécois…»
Les arbres et la forêt…
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je le remarque: le «potentiel» québécois est souvent perçu au dehors avec plus de netteté et, il faut bien le dire, de bon sens serein, qu’ici même, dans la confusion énervante où nous n’en finissons plus de chercher le commutateur. Comme au Canada anglais, comme dans certaines rencontres américaines, j’ai constaté en France et en Belgique que ce n’est pas l’avenir du Québec qui préoccupe les gens qui s’intéressent à nous, mais bien plutôt la lourde et incompréhensible inaptitude qu’il manifeste à oser en prendre la direction. Il faut dire que, de loin, il est toujours plus facile d’apercevoir la forêt, tandis que lorsqu’on y est, c’est effrayant comme on peut se cogner longtemps contre les arbres, un à un! Et puis aussi, il faut être de chez nous, pour savoir à quel point notre colonialisme est relativement bien nourri, bien encadré par ses privilégiés de tous poils et de tous niveaux, bien camouflé même à l’intérieur d’un fédéralisme qui s’évertue à nous faire prendre ses secours directs pour du progrès.