Mercredi, 12 août 1972
Interlocuteurs valables…
Comment établir un bilan de cette «incursion» d’une quinzaine de jours en France et en Belgique? Les résultats tangibles sont aussi apparents que vite énumérés. D’abord, cette constatation clé que je notais hier: dans les milieux qui comptent, le Québec est désormais une entité familière dont on connaît l’évolution, sûr qu’elle mènera avant trop longtemps à la souveraineté politique. D’où il s’ensuit que, presque partout, en dépit de la «délicatesse» de notre situation, on nous a reçus comme d’éventuels interlocuteurs valables. Ce qui est vrai pour les milieux officiels ou apparentés, et plus encore pour les milieux d’information et les cercles intellectuels et même les groupes d’affaires…. De plus, nous avons réussi à établir des contacts nouveaux, en particulier dans la gauche française, tout en tâchant de notre mieux de resserrer et multiplier les liens qui existaient déjà dans d’autres secteurs, chez les anciens du gaullisme en particulier…
«Socialisses et communisses!»…
Il paraît, à propos de la gauche, que certains «gnochons» se sont empressés chez nous de pousser les hauts cris: «Pensez donc, M’ame Chose, ces gens du PQ qui rencontrent là-bas des socialisses et même des communisses!… On vous l’avait bien dit, hein, c’est du monde inquiétant…. Que PET reçoive Kossyguine ou que Jean-Luc Pépin aille quêter des ventes de blé en Chine, que Nixon trinque à Pékin puis à Moscou, ça ne les dérange plus. Mais que pour tâcher de noyer le PQ on l’accuse de la rage, ça c’est de bonne guerre. Pauvres vieux restants de notre anthropophagie partisane!… Mais revenons au fond de la question. La gauche politique française, il était d’autant plus indiqué de briser un peu la glace avec elle qu’il n’est pas du tout inconcevable qu’elle soit au pouvoir un de ces jours. Jusqu’à présent, buté, fermé, le parti communiste était là tout seul comme une pierre dans le courant avec ses quelque 20 p.c. des votes. Personne ne prenait trop au sérieux les tentatives de rapprochement avec le parti socialiste, réamorcées après tant d’échecs. Or, voici que brusquement, dans la perspective de possibles élections législatives à l’automne, ça vient de déboucher. Non seulement sur un «front commun» électoral, mais pour la première fois depuis 35 ans sur un programme conjoint et un accord de gouvernement. C’est la grande nouvelle politique de l’année, et très certainement l’apparition d’un «challenger» sérieux face à un régime qui, depuis le retour du général de Gaulle en 58, compte maintenant 14 ans de règne et ne peut qu’avoir l’air vieilli…
Le vague petit fonctionnaire!…
Quant à l’opinion des dirigeants actuels, il faut connaître un peu la finesse presque orientale du monde officiel français pour la deviner. Un qui l’a bien saisie, c’est justement M. Trudeau! Il s’est empressé, paraît-il, de traiter de «vague petit fonctionnaire» un personnage politique considérable venu à une de nos réunions et qui, non content d’accepter de m’y présenter, a terminé son allocution en ces termes: «Votre indépendance, non seulement nous la souhaitons, mais nous la croyons inéluctable…. Or, ce «vague» individu, M. Jean Charbonne!, n’était rien de moins qu’un député, ancien ministre et président de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale! Mieux encore, après le tout récent changement de gouvernement (de Chaban-Delmas à Messmer on le retrouve à nouveau dans le cabinet, au portefeuille «sénior» du Développement industriel!… Son opinion reflétait-elle celle des milieux du pouvoir? Sans le moindre doute à mon avis. Un «re- ministrable» aussi éminent ne se serait pas prononcé avec un tel éclat sans avoir d’abord consulté. Toutes les autres rencontres que nous avons eues confirment d’ailleurs cette impression: le jour où le Québec sera clairement «branché», il y aura à Paris une sympathie immédiate et agissante à notre endroit. Bien sûr, c’est chez nous que ça doit se décider, et là exclusivement. Mais il est important de savoir que des appuis importants peuvent être disponibles A l’étranger…
On s’occupe de nous…
Du côté du grand public, notre «pénétration» directe a été forcément modeste. Quelques centaines de personnes à Caen, Lyon, Grenoble, un peu moins en Belgique, un peu plus dans quelques réunions parisiennes. Chose certaine, c’était chaleureux. À Caen et Lyon surtout, où la discussion s’est prolongée, exactement comme à la fin d’une bonne assemblée de chez nous… Mais le plus important, c’est l’accueil des mass média: radio et TV à deux reprises dans chaque pays, conversations prolongées et substantielles avec des groupes aussi divers que ceux de la revue «Esprit», du Nouvel Observateur, de France-Soir, rencontre avec le Cercle de la presse étrangère, «couverture» assez complète dans la plupart des quotidiens principaux. A ce propos — avant de partir brièvement en vacances et de vous infliger quelques impressions purement touristiques — je vous ferai lire demain une excellente interview parue dans le Monde qui demeure le plus influent des journaux français…