Vendredi, 4 août 1972
Côte d’Azur…
Revoir la Méditerranée pour la première fois en 14 ans… Aussi bleue-bleue-bleue que jamais. Aussi tiède et lourdement salée — vrai paradis pour nageurs débutants, une eau si compacte qu’on n’a qu’à s’y laisser flotter… Mais presque partout, dès qu’il y a plage, c’est désormais l’encombrement des plus populaires bords de mer américains. Juan- les-Pins comme Old Orchard, Cannes ou Nice, comme Miami… Spaghetti et pizza font une percée spectaculaire (comme la cuisine chinoise- vietnamienne à Paris). Et çà et là, on prétend même s’adonner au hot-dog, avec des résultats qui n’ont rien de mirobolant. De même pour le hamburger, surtout quand on s’acharne à le coiffer cocassement d’un «œuf à cheval»! Cette douce manie de toujours vouloir «améliorer» les trouvailles d’autrui…
Là-haut, sur la Corniche…
Bref, pour bien s’en tirer et respirer à un prix abordable, il faut quitter le littoral et ses foules congestionnées, piquer vers l’intérieur ou se promener simplement sur ces deux admirables belvédères sinueux que sont la Moyenne et surtout la Grande Corniche, antiques parcours impériaux, pins et fleurs de montagne dans un décor inouï de roc gris, brun, rouge. Et la Méditerranée tout en bas, où l’on imagine les galères romaines, puis les voiliers maures ou barbaresques, puis la flotte de Nelson, les premiers grands yachts des lords anglais et grands-ducs russes du 19ème — vingt siècles d’histoire à l’horizon bleu… Ces vieilles petites villes des hauteurs, relais de l’Antiquité, vigies du Moyen Âge: la Turbie, Roquebrune… Et qui regardent passer, sans plus s’en faire, la cohue pétaradante des «motards» hippies et des cars d’agence remplis de couples sages et de demoiselles poursuivant leur dernières illusions… On y flâne doucement sur les petites places, on peut s’y attarder jusque tard à une table en plein air après un repas comme on en faisait jadis, et se sentir voluptueusement en dehors de l’époque, coupé du temps, avec le goût sournois de prendre racine dans ce paysage et ces parfums éternels… On comprend ceux qui ont cédé à la magie de ce décor: Picasso qui s’est perché aux environs de Vallauris après y avoir refait la gloire de la céramique et de la poterie, l’Américain James Baldwin venu échapper à la tragique tension des USA noirs, et tant d’autres, de partout, y compris un essaim croissant, de Québécois, rentiers, artistes ou étudiants en «complément permanent» de scolarité…
Vive l’eau froide!…
Mais il faut redescendre sur la «Côte» et endurer la cohue pour jouir de l’eau. Tâter les spécialités hors de prix — comme cette langouste qu’on vous débite au pesant d’or et qui n’a pas la moitié du quart de la saveur du homard; ou ce poisson blanc qu’on appelle le «loup» et qui, même arrangé au fenouil et autres savantes concoctions, ne sera jamais l’ombre d’une bonne morue fraîche… Ce sont les eaux froides qui donnent les bons fruits de mer — prenez-en ma parole de Gaspésien et sachez qu’il a donc du bon, notre sacré climat! Encore heureux que le Midi n’ait pas oublié comment faire la ratatouille: loin devant la bouillabaisse (qui aurait besoin de nos poissons pour être à son meilleur!) c’est à mon avis sa principale conquête culinaire.