Mercredi, 19 juillet /972
Paris-auto…
«Je n’ai jamais eu d’accident, jamais, ou il y a si longtemps…» Ils disent tous la même chose, finissant pourtant par se rappeler que la semaine dernière ou il y a deux mois… mais c’était évidemment l’accident de l’autre! En tout cas, il doit y en avoir: Paris, plus que jamais, c’est la congestion et la frénésie automobiles alternant d’un carrefour à l’autre, indescriptibles, indéchiffrables, hallucinantes. Sauf qu’on conduit également à droite, rien qui ressemble à Montréal. Les avenues convergentes, les allées prioritaires, l’encombrement fou des grandes places, les pétarades féroces dans toutes les rues à sens unique, étroites et meurtrières. Et pourtant, on ne semble pas s’écrabouiller trop souvent! Il faut dire que, maniaque de mécanique, le Français est évidemment un conducteur hors pair. Mais d’une agressivité absolument stupéfiante. Cet individu généralement conservateur, bon citoyen et bon père de famille, se transforme en véritable lion dès qu’il se met au volant. Et je gronde, et je fonce, et je m’engueule joyeusement avec quiconque se place en travers, et enlevez-vous que je passe, plus vite que ça, espèce d’empoté! Une vraie brute. Puis il redescend et, aussitôt, c’est le type plutôt gentil et parfaitement courtois que l’on retrouve. Extraordinaire métamorphose… Et quand on dit que jamais on ne se risquera au volant dans cette jungle, on vous avertit que Rome est bien pire encore!…
Ravalez, ravalez…
Paris, visuellement, c’est désormais toutes les teintes de gris, du plus clair jusqu’au plus noir de vieille suie. Depuis qu’André Malraux, alors ministre de la Culture, a lancé le «ravalement» obligatoire, la ville est en grand ménage perpétuel. Une fois par dix ans, toutes les façades, pierre ou brique, doivent y passer. Jets de sable pour les murs sans histoire, jets d’eau respectueuse pour les monuments classés. On passe sans arrêt de perspectives pimpantes et d’un gris-jaune lumineux sous le soleil (quand il daigne se montrer) à des enfilades encore plus ou moins crasseuses qui attendent les ramoneurs. Immense, interminable, le Louvre a déjà repris une gamme de nuances qui vont, d’une aile A l’autre, à tous les reflets d’un même coloris. La Concorde est comme neuve, ainsi que l’Arc de Triomphe. Et l’on comprend pourquoi fut inventé le titre de Ville-Lumière…
Au Pas-de-Calais…
C’est un petit hôtel de quartier, rue des Saints-Pères, à deux pas de Saint-Germain-des-Prés, des cafés de Flore et des Deux-Magots, célèbres depuis que Sartre et Simone de Beauvoir y trônèrent jadis, à l’aurore de l’existentialisme. En face, la brasserie Lipp où, parait-il, se coudoient toujours politiciens et «milieux informés» de tout acabit. Mais juste à côté, un bruyant Drugstore, plein à craquer de journaux, souvenirs, «quick snacks» et autres breloques, vraie super-pharmacie du Canada… L’hôtel, lui, entourant sur 5 étages sa minuscule cour intérieure et une piécette d’eau où s’étiolent deux poissons rouges est tranquille comme une pension de famille. Propre comme un sou neuf, avec des femmes de chambre (surtout étrangères aujourd’hui, semble-t-il) infatigables comme dans les bonnes maisons d’antan. Un seul appareil de télévision, dans le petit salon-salle à manger près du hall. Mais, dans chaque chambre, le téléphone est automatique et l’on peut appeler directement jusqu’en Amérique! Seulement, il n’y a qu’un annuaire, précieusement gardé à la réception… Et d’autre part, la porte d’en face, sur la petite rue tout encaissée, donne sur le vieil hôtel bourgeois où loge cette pépinière de la technocratie modern-style, l’École Nationale d’administration. Paris-contrastes…