Vendredi, 21 juillet 1972
«Ma Normandie»…
Comme l’exige la chanson, je suis allé la revoir. Deux jours à Caen et aux environs. Caen, ville martyre de 44, est aujourd’hui reconstruite et d’un bout à l’autre débordante de santé et de propreté, solide, carrée, d’allure à la fois conservatrice et bien nourrie. L’université, autour d’un centre-campus flambant neuf, agglomère autant d’étudiants que Laval. Nous y découvrons deux professeurs québécois, MM. Paquette (civilisation «québécoise») et Dessurault, un Trifluvien qui rentre bientôt au pays. Tous deux animateurs d’une nouvelle section de la société France-Québec qui s’appellera Calvados-Québec. On y tâche, comme dans plusieurs autres coins de France, de remettre un peu à la page et «dans le vent» les images désuètes que propage de nous ce vieux pilier du statu quo, France-Canada, relié à l’ambassade et à toute la propagande fédéraliste.
Une soirée à Caen…
Donc, nous participions à une des premières assemblées de Calvados- Québec, dont le coup d’envoi avait été donné un mois plus tôt par une visite de Gilles Vigneault (qu’on retrouve aussi sur des affiches et à la radio parisiennes, après Pauline Julien dont on nous parle comme d’une «révélation» de l’année: la saison québécoise n’est pas mauvaise…) Le président est M. Fourrez, Caennais barbu, maigre, sexagénaire vif et sautillant comme un Méridional, et d’une sympathie débordante. Il connaît déjà bien le Québec où l’un de ses fils est installé. Sa présentation dit sans ambages (comme sans la moindre fausse note) où vont ses préférences — du côté de l’option que nous sommes venus expliquer et diffuser de notre mieux. Dans la salle, quelque 200 personnes, dont une vingtaine de Québécois et Anglo-Canadiens. Auditoire extraordinairement attentif et intéressé. La période de questions et de discussions se prolonge jusqu’à tout près de minuit. Comprenant un dialogue difficile autant que délicat avec un jeune nationaliste breton qui voudrait absolument me faire admettre que la Bretagne en France c’est la même chose que le Québec au Canada! Je finis par lui demander amicalement d’aller en faire la preuve par une action démocratique dont on verrait les résultats. Il n’est ni content ni convaincu, mais au moins finit-il par bouder en silence… Pour le reste, sympathie très nette et cette perception plus claire que jamais du «dossier» québécois qui ne cesse de m’étonner.
Ce damné Guillaume…
C’est du Conquérant qu’il s’agit. Son souvenir est enraciné au cœur du vieux Caen, dans cette admirable Abbaye aux Hommes qui sert aujourd’hui d’hôtel de ville et où nous reçoit en grand style le «député adjoint» du maire. Ce dernier est quelque part le long du parcours des fameuses «24Heure s du Mans», la classique randonnée automobile que suit le président Pompidou et où il faut donc être vu. Monsieur l’adjoint nous prodigue les phrases de l’amitié traditionnelle dans laquelle nous apportons «ce parfum de vieille France» qu’il fait bon respirer!… Après quoi, vraie et admirable vieille France, on nous fait visiter cette abbaye médiévale, superbement conservée ou restaurée, laïcisée par la Révolution, transformée en collège par Napoléon, puis finalement consacrée à l’administration municipale dont le conseil siège dans l’antique salle où les moines tenaient leur chapitre… Parfaite adaptation d’un trésor historique à la vie moderne. Jusqu’à la sacristie où se trouvent l’écharpe que revêt l’officiant ainsi que les documents requis… pour les mariages civils qu’on célèbre dans la salle voisine! Mais passée la sacristie, un mur et des portes condamnées bloquent toute communication avec la grande église abbatiale, tout à côté, qui préside encore aux destinées d’une paroisse. Séparation de l’Église et de l’État… Il faut donc sortir puis rentrer pour aller voir, dans le chœur, sous la voûte vertigineuse aux verrières lointaines, la plaque funéraire de Guillaume le Normand, conquérant de l’Angleterre et fondateur de la monarchie d’en face… «Un mauvais coup que vous leur avez fait, disons-nous aux amis normands, et qu’ils nous ont rendu là où vous savez!»
Notules normandes…
Non loin de Caen, déjeuner au restaurant «Le Québec», auberge rustique dont le patron et la patronne ont vécu plusieurs années chez nous, rapportant pour leur menu la tourtière et la soupe aux pois. Nous avons convenu, à la fin d’un repas devenu amical et joyeux comme un pique- nique, d’avertir dès que l’adjectif «libre» pourra prendre place au bout du nom!… Randonnées sur d’excellentes routes départementales, qui sont pavées comme tous les chemins de France, soigneusement «bornées» à chaque kilomètre, et conduisant de champs riches en usines et ateliers trépidants jusqu’à de gros bourgs tassés dont chacun â ses quatre ou cinq siècles d’histoire sur quelque mur ou bâtiment… Mais nous avons manqué Pont-Lévêque, sinon le fromage… Et sommes repartis avec une «Histoire de la Normandie. de Michel de Bouard (Éditions Privat) qui est, paraît-il, l’ouvrage définitif. Ainsi qu’un calvados des Caves Thorel dont «vous nous direz des nouvelles»!…