Lundi, 24 juillet 1972
Ça fait toujours un drôle d’effet de se voir par les yeux d’autrui. Inévitablement, comme dans un miroir déformant, il y a un certain flou. Même quand c’est tout à fait sympathique, comme dans ce compte rendu de Loic Hervouet qu’on m’expédie de Caen.
Vous voulez voir un peu, vous aussi, ce que ça donne à l’étranger? Voici quelques passages de cet article paru au lendemain d’une visite en Normandie.
«Caen accueillait samedi soir, écrit M. Hervouet, le président du Parti Québécois, tout en début de sa tournée de quinze jours… L’accueil en terre normande, organisé par la toute jeune Association Calvados- Québec, fut comme il se doit chaleureux et, après une réception à l’Hôtel-de-ville, le champion de l’indépendance du Québec fut soumis, rue Neuve Saint-Jean… à un long débat d’un intérêt soutenu et qui portait, fort curieusement, moins sur le bien-fondé de la revendication indépendantiste des francophones que sur le type de société qu’instaurerait le Parti Québécois une fois parvenu au pouvoir, chose qui n’a semblé faire de doute dans l’esprit de personne.
«En ouvrant la séance, M. Fourrez avait salué en René Lévesque «ceux qui luttent pour ne plus être locataires de leur propre maison., aux applaudissements de quelques militants autonomistes bretons venus distribuer leur journal…
«C’est tout de même René Lévesque qu’on écouta avec le plus d’attention.. En trois quarts d’heure, le tour du problème est fait.
«1 — Le Québec sort d’un passé colonial qui a créé une atrophie, un sous-développement de la personnalité collective. Illustration typique — 80 p.c. des Québécois sont francophones, mais 80 p.c. des postes de direction sont occupés par des anglophones…
«2 — Le système actuel «sautera» nécessairement, par le choc entre la domination «métropolitaine» et la découverte de l’identité francophone, au travers d’un gigantesque effort de formation… connu sous le nom de la «révolution tranquille»….
«3 — Les Québécois ont pris conscience de leur originalité au travers des percées sociales (sécurité sociale et familiale), économiques (secteur public… coopération), culturelles (la chanson de Leclerc, Vigneault ou Ferland «s’exporte»). Ils veulent réussir leur percée politique et accéder au self-government.
«4 — Créé en 1968, le PQ recueille 24 p.c. des suffrages dès 1970. On lui en accorde aujourd’hui 35 p.c… et d’ici aux élections de fin 1973 la progression continue.
«5 — Oui, le Québec serait viable: six millions d’habitants et budget d’État de 40 milliards de francs. Un revenu national par habitant supérieur à celui de la France. Des ressources naturelles énormes…
.6 — L’indépendance québécoise se ferait sans effusion de sang, avec réalisme et par négociations. Des accords tarifaires ou autres pourraient être conclus avec le Canada anglophone…
Déjà…
«Voilà, c’est tout. L’indépendance ne fait plus de doute pour l’ancien ministre ni pour l’assistance subjuguée. On s’y voit déjà. Les questions porteront alors sur ce que le Parti Québécois ferait de son pays, une fois au pouvoir…
«Sans pouvoir rentrer dans les détails, l’orateur explique, prend des exemples pour montrer la volonté du Québec «d’inventer» une nouvelle société, à partir d’idées déjà réalisées dans certains secteurs… Dans une société d’abondance où les mentalités s’éveillent depuis quelques décades seulement, c’est un travail passionnant. C’est ce que revendique… (le PQ). Il prend contact avec les principaux hommes politiques européens. Déjà…»
Quelques détails accrochent bien un peu. Mais c’est clair, concret et plus que gentil. Confiant en nous. De loin, évidemment, ils voient mal tout le chemin qu’il nous reste à parcourir. Peut-être aussi n’ai-je pas assez insisté sur ce point!…