Mardi, 25 juillet 1972
Chez les «Camarades….
Ce lundi matin, visite au quartier général de la CGT, un grand bâtiment gris-de-Paris, rue Lafayette. Au sixième, trois «camarades» nous attendent gentiment malgré le quart d’heure de retard infligé par la circulation. Le réceptionniste est un militant permanent en bras de chemise, et notre hôte un ex-cheminot à l’accent méridional chargé des «relations internationales». Accueillis avec la chaleur du Midi, nous passons dans un petit parloir gris et nu. Derrière la table, un des quatorze secrétaires nationaux qui siègent au Bureau Confédéral. C’est une femme qui s’occupe surtout, naturellement, des problèmes de la main-d’oeuvre féminine. Elle les a vécus d’abord à la «base», dans le personnel bancaire. Près d’elle, cheveux modérément longs ( on est conservateur dans la gauche «orthodoxe»), un jeune et discret adjoint du secrétariat- jeunesse. Tous trois, permanents salariés de la grande centrale d’obédience communiste, sont issus des milieux du travail. «C’est une tradition que la CGT tient à maintenir, me dit le camarade cheminot. C’est difficile parfois d’affronter nos homologues étrangers, qui sont souvent de formation intellectuelle. Mais nous piochons nos dossiers et nous arrivons à tenir le coup. Bien sûr, nous avons aussi une foule d’intellectuels chez nous. Nous les consultons et tenons compte de leurs avis. Mais essentiellement, ce sont des travailleurs qui administrent, prennent les décisions…»
Service public…
En France aussi, il y a des grèves générales. C’est d’ailleurs une forme d’action syndicale qu’on a inventée ici bien avant qu’on n’en fasse chez nous l’essai dont nous sortions récemment. Et comme par hasard, la CGT vient justement d’en faire une, de 24 heures, qui n’a pas été un succès boeuf. Ce qui amène mes interlocuteurs à s’enquérir discrètement de notre propre expérience. En s’étonnant, comme s’il évoquaient l’impensable, de l’emprisonnement des 3 présidents de centrales qui semble avoir fait du bruit dans les milieux syndicaux européens. Plutôt que de s’attarder sur la question judiciaire, si différente d’un pays à l’autre, on se met à évoquer en détail le contexte du conflit. Et alors, apprenant que nos hôpitaux en particulier se sont trouvés presque vides, non seulement abandonnés mais «piquetés» par les grévistes, voilà ces «durs» Européens qui font les yeux ronds. Presque effarés. Ils se retiennent de porter jugement: la «fraternité» est forte dans le monde syndical. Mais ils ne peuvent s’empêcher de nous décrire avec insistance leur propre comportement. «Nous, quand il y a grève, le droit existe aussi dans les hôpitaux. Mais on ne l’exerce jamais, sauf peut-être, si ça ne compromet pas la marche du travail, pour assister aux manifestations… Un hôpital, nous admettons que ça ne doit pas être bloqué. C’est du service public. De même d’ailleurs, grosso modo, que l’électricité…. Certains de nos révolutionnaires à l’essai devraient peut-être méditer là-dessus: la révolution, ces trois «camarades» français l’ont aussi inventée et potassée bien avant la saison courante…