Compte-rendu du livre René Lévesque, homme de la parole et de l’écrit, de Michel Lapierre paru dans Le Devoir du 10 novembre 2012.[1]
René Lévesque. Homme de la parole et de l’écrit, sous la direction d’Alexandre Stefanescu et Éric Bédard, VLB éditeur, Montréal, 2012, 176 pages
Michel Lapierre, 10 novembre 2012.
« C’était devenu une tradition, au Québec, que si t’avais volé assez de fonds publics pour devenir riche, t’étais respectable. » Ce propos d’un homme politique hors normes, tenu en 1966, visait l’Union nationale et son propre parti d’alors, le Parti libéral. Même s’il ne s’y trouve pas, il reflète bien le riche ouvrage collectif René Lévesque, homme de la parole et de l’écrit, 25 ans après la mort de celui qui incarnait le dialogue avec le peuple. Publié sous la direction d’Alexandre Stefanescu et Éric Bédard, de la Fondation René-Lévesque, le livre réunit 13 témoignages et analyses de journalistes, d’universitaires et d’anciens collaborateurs de l’homme politique. Pierre Paré, historien de la radio, y présente Lévesque, comme l’inventeur d’un style personnel dans ce moyen de communication sans images, cet « art de l’invisible ». Le futur fondateur du Parti québécois travaille à Radio-Canada entre 1946 et 1960, notamment comme reporter coloré, vivant, maître dans l’art de questionner les passants, et surtout en animant Point de mire. Cette émission télévisée d’actualité politique marque notre ouverture critique et familière sur le monde. Pagé rappelle les mots archiconnus prononcés par le communicateur lors de l’échec référendaire de 1980: « Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de me dire : à la prochaine fois… » Il commente : « Cette forme d’intervention en dialogue avec l’autre était, depuis toujours, la signature de son discours. » Elle s’exprima aussi par écrit au fil de près de 1400 chroniques que Lévesque écrivit. Le don de frapper l’imagination s’alliait à une subtilité que cerne admirablement le journaliste Marc Laurendeau. Laurendeau raconte : il devinait la question et « y répondait un quart de seconde avant que vous n’ayez terminé ». Son ex-attachée de presse, Gratia O’Leary, relate qu’il reprocha à ses confrères journalistes se définissant comme Québécois de n’avoir pas su défendre le Oui au référendum avec la même ardeur que la presse de langue anglaise avait déployée pour défendre le Non. Loin d’être lénifiant, le dialogue que Lévesque avait avec le Québec n’existait que par un miracle : sa franchise.