Allocution d’Yves L. Duhaime
Président de la Fondation René-Lévesque
Montréal, 1er novembre 2012
René Lévesque nous quittait, il y a 25 ans aujourd’hui. Il laisse derrière lui un héritage d’engagement, d’exemplarité, de conviction, et aussi d’une grande intégrité, qui font de lui, un des grands hommes, sinon le plus grand de l’histoire politique du Québec moderne.
Témoin privilégié et compagnon de route pendant plus de 15 ans, j’ai bien connu l’homme. C’est pourquoi, c’est avec une grande fierté que j’ai l’honneur de présider la Fondation René-Lévesque, et vous accueillir ici aujourd’hui au nom de tous mes collègues, hommes et femmes du conseil d’administration.
René Lévesque aura marqué, comme journaliste, animateur et homme politique, la deuxième moitié du siècle dernier. Disparu trop tôt, à l’âge de 65 ans, il laisse le souvenir d’un homme engagé dans l’action, avec une passion contagieuse et dévorante.
Deux grandes idées auront inspiré toute sa vie : l’information et la liberté.
Il croyait qu’un peuple informé était un peuple libre, et il était convaincu aussi qu’un peuple libre avait le droit légitime d’accéder à la pleine souveraineté politique.
Doté d’une voix inimitable, d’une plume parfois enchevêtrée mais originale, et d’un charisme rare, René Lévesque, même très jeune avait cette personnalité attachante, affable, nourrie par une intelligence hors du commun.
En 1937, (il a 15 ans), pendant ses vacances d’été, René Lévesque fait ses premiers contacts avec le monde de l’information : il est lecteur de nouvelles, en français et en anglais, à la station CHNC à New Carlisle. Sa voie était déjà tracée.
Sa famille déménage à Québec, son père étant décédé un an auparavant. Il poursuit ses études classiques chez les Jésuites et les termine au Séminaire de Québec : il est bachelier ès art à 19 ans. Durant toutes ses études à Québec, il entame en parallèle un carrière de journaliste et reporter à CKAC, CKCV, CBC. Il abandonnera ses études à la Faculté de droit, pour se consacrer entièrement à la carrière qu’il adore : l’information. Plus tard, il deviendra reporter de guerre avec l’Armée américaine à New York puis à Londres. À 22 ans il se retrouve sur les champs de bataille en Europe avec l’armée du général Patton et découvre les horreurs de la guerre, les camps de concentration : il en restera profondément marqué toute sa vie.
Après la guerre, il reprend son métier de journaliste à Radio-Canada, mais repart quelques années plus tard pour couvrir la guerre de Corée. Dès son retour, très rapidement, il devient animateur-vedette à Radio-Canada.
L’information est sa passion, mais la grève des réalisateurs à Radio-Canada allait bouleverser sa vie. Il prend position pour les grévistes, manifeste et est emprisonné pour manifestation illégale. On vient de toucher à sa liberté : cela allait le conduire à la politique active et à joindre l’équipe de Jean Lesage.
Élu député de Laurier, il est assermenté en 1960, ministre des Richesses naturelles et des Travaux publics, il a 37 ans. Son premier geste cause tout un émoi : il annule tous les contrats publics obtenus sans soumission sous le régime de l’Union nationale et instaure au Québec, le premier système d’appels d’offres et de soumissions publiques. Puis, c’est la campagne de 1962 et la nationalisation des compagnies privées d’électricité, ce qui crée la nouvelle Hydro-Québec, (qui aujourd’hui verse à son actionnaire 2 milliards $ par an).
Devenu super-vedette de « l’Équipe du tonnerre » qu’il quitte en 1967, parce que convaincu qu’après le « Maître chez-nous », le Québec devait aller plus loin et plus vite vers sa pleine liberté comme nation et comme peuple normal.
Il lance alors le mouvement souveraineté-association et l’année suivante, il fonde le Parti Québécois, mais formera son premier gouvernement après deux défaites électorales (1970 et 1973) avec la victoire de 1976. Sa traversée du désert aura duré dix longues années, parfois pénibles et difficiles sur tous les plans. Ce fut durant cette traversée qu’il poursuivit, parallèlement à son action politique, son métier de journaliste, comme chroniqueur, principalement au Journal de Montréal, à la suggestion de son ami le regretté Pierre Péladeau.
En deux mandats de gouvernement, René Lévesque allait transformer profondément le Québec, en accélérant la Révolution tranquille et en ouvrant la voie à la nécessaire souveraineté du Québec.
Avec ses ministres et députés, René Lévesque engage des réformes nécessaires et audacieuses en les inscrivant dans la durée. Pour exemples : la Loi sur le financement des partis politiques, la fin du patronage et des caisses occultes, la Charte de la langue française, la Loi référendaire, l’Assurance automobile, la Loi sur la protection du consommateur, la Loi sur le zonage agricole, la Loi anti-scabs, la Loi sur la santé et la sécurité des travailleurs, le Fonds de solidarité, la refonte du Code civil, la réforme des tribunaux administratifs, l’abolition des concessions forestières et des clubs privés en forêt, la reconnaissance des nations amérindiennes. Ce sont là, quelques-unes parmi les principales mesures proposées et votées par l’Assemblée nationale.
Homme de parole et de conviction, René Lévesque engagea son gouvernement dans la bataille référendaire de 1980, malheureusement perdue. Mais après lui avoir refusé le mandat sollicité au référendum, le peuple du Québec, non seulement lui conserva sa confiance, mais le reporta au pouvoir l’année suivante avec une majorité accrue en suffrages exprimés et en sièges à l’Assemblée nationale, grâce à son talent inné de communicateur et à son inimitable charisme.
Son deuxième mandat fut assombri par la pire crise économique et financière que le Québec ait connu depuis la Grande dépression des années trente, ce qui contraignit son gouvernement à travailler d’arrache-pied pour protéger et sauver entreprises et emplois, à maintenir les grands équilibres de l’État, malgré des taux ahurissants d’intérêts, de chômage et d’inflation.
Cette conjoncture dura presque trois ans et entraîna fatalement des tensions et des désaveux, et dans son propre parti et dans l’opinion publique, l’obligeant à mettre en veilleuse, non sans controverse, l’option fondamentale de son engagement politique, tout en s’assurant que pour l’avenir, tout restait possible.
Toujours, René Lévesque aura maintenu le cap, jamais, même dans les moments les plus sombres, il ne remit en cause son objectif de permettre à son peuple d’acquérir dans la démocratie et le respect de tous, la plénitude de ses droits et libertés.
C’est de cet homme unique dont nous nous rappelons aujourd’hui le souvenir.
Merci monsieur Lévesque.
Vous ne pourrez jamais savoir combien nous avons été fiers de vous accompagner durant toutes ces années.