Source : Barbeau, François. «Les élections du 13 avril. René Lévesque : La souveraineté-association demeure la direction de l’avenir», dans Le Devoir, Montréal, samedi le 4 avril 1981, p. 7.
La bannière du Parti québécois porte toujours en filigrane l’option de la souveraineté-association, option qui a été endossée par 50% du Québec français le 20 mai, et «partant de là, il est évident qu’on n’a pas perdu nos convictions, c’est l’ingrédient l’essentiel, et on continue de croire que c’est la direction de l’avenir».
Dans l’entrevue qu’il a accordé au DEVOIR cette semaine, le premier ministre du Québec, M. René Lévesque, n’a pas caché que telle demeurait l’option fondamentale du Parti québécois, d’ailleurs inscrite au tout début du programme.
Mais, précise-t-il, ça se fait démocratiquement, pas autrement, et il n’est pas question de «bulldozer» les gens, puisque nous n’avons pas le mandat de faire des changements fondamentaux.
«Il reste nos convictions, il reste l’évolution et il reste la possibilité pour les gens qui y croient, dans le parti, de faire un peu mieux ce qu’ils ont mal fait en grande partie depuis 1976, d’être un parti d’idées et de pousser dans le paysage».
De l’avis de M. Lévesque, «trop de nos militants se sont transformés pendant quatre ans en espèces de sous-ministres adjoints dans biens des coins – c’était peut-être l’euphorie du pouvoir – et ils suivaient à la trace, virgule par virgule, ce qu’il y avait ou qu’il n’y avait pas dans telle loi ou dans un tel règlement, et ils pourraient peut-être pousser davantage leurs idées. L’évolution, c’est ça, mais ça doit se faire démocratiquement».
Il n’est donc pas logique et démocratique, à moins d’un an du référendum, de précipiter les gens une nouvelle fois dans cette avenue au cours d’un second mandat qui débuterait après le 13 avril.
Un autre référendum pourrait être tenu après ce second mandat, qui pourrait ne pas durer quatre ans, «selon que l’évolution mettre sa pression plus ou moins insistante, selon que la société aura évolué ou non dans ce sens là». En attendant, un gouvernement du Parti québécois s’attachera à la défense de l’autonomie du Québec, à ne «jamais laisser empiéter sans se défendre jusqu’au bout sur les droits fondamentaux et sur ce qui peut ménager les chances d’avenir, c’est-à-dire les aspirations des Québécois».
Les chances d’avenir, et ce qui pourrait les compromettre, c’est de toute évidence pour M. Lévesque le projet de rapatriement de la constitution, projet qui doit être bloqué, insiste-t-il.
Le front commun des provinces contre Ottawa n’existerait pas s’il s’agissait seulement d’appuyer le Québec et de protéger la loi 101, entre autres, mais «il y a tout le reste de cette espèce d’abus de pouvoir assez complexe» qui affecte des pouvoirs très importants pour toutes les provinces en ce qui concerne la propriété, le management des ressources, en ce qui concerne du droit d’initiative, des deux côtés, les formules d’amendement, le référendum pan-canadien, etc»., explique M. Lévesque.
Sur ces plans, il est certain que le front commun, pour la première fois, s’est même renforcé plutôt qu’affaibli.
RAPATRIEMENT
M. Lévesque refuse d’explorer le terrain des hypothèses. Pour le moment, il faut que ça soit bloqué, et que ça continue d’être bloqué, se contente-t-il de dire. C’est dans ce but qu’il a retardé les élections. À un moment, cinq provinces seulement s’étaient rangées contre le projet de M. Trudeau. Il fallait être six pour résister et «surtout pour faire prendre conscience à nos concitoyens, derrière le jargon, des dangers que ça représente».
Cette alliance a réussi à faire dérailler le train du rapatriement en décembre. Peu à peu, l’opinion publique est contre maintenant, les tribunaux ont rendu des décisions qui forcent les gens à réfléchir sur la légalité même, et à «Londres, il ont un damné problème».
«On est braqué le mieux possible, et le travail à faire c’est d’essayer de continuer à bloquer ça et d’être sûr qu’à un moment donné le bon sens va revenir».
M. Trudeau a montré une ouverture de bon sens dans sa réaction au jugement de la Cour suprème de Terre-Neuve, même si ses propos étaient accompagnés d’un certain chantage, mais il reste qu’on commence à s’ouvrir à la nécessité par simple décence minimale d’attendre que les tribunaux aient fini de se prononcer, commente le président du Parti québécois.
M. Lévesque rappelle qu’à l’automne, les dix provinces en étaient arrivées à un commencement de consensus et qu’à ce moment on avait cru possible de «justifier un rapatriement, pas la patente camouflée derrière la charte des droits, mais un rapatriement accompagnée d’un renouvellement qui serait déjà en marche».
Avant de retourner à la table des négociations avec Ottawa, il y a des choses qu’on pourrait dire clairement de nouveau : il faudrait que ce soit accompagné dans certains secteurs d’un «réaménagement des pouvoirs, la question clé – du rapatriement pour en arriver à un équilibre convenable dans ce régime».
Le même problème se pose depuis des années, et la même réponse est appelée. Le régime fédéral, avec ses deux niveaux de gouvernement, est désuet, et l’horizon nouveau qui s’était entrouvert a été bloqué net par le fédéral et par l’entourage technocratique, très centralisateur qui est là autour de Trudeau. Mais il reste que personne n ‘est éternel…
Si le fédéral renonce à son abus de pouvoir actuel, on arrivera avec ces réformes sur lesquelles ont s’est déjà entendu, dans le domaine des ressources, des tribunaux, du droit familial. Le Québec a des exigences précises, notamment le droit absolu de continuer à exercer l’autodétermination selon la volonté démocratique de l’évolution de notre société; que ce peuple québécois soit reconnu comme une société distincte, ce qui a été acquis auprès des autres provinces à l’automne et que certaines droits comme ceux sur l’éducation qui sont reliés directement à notre existence soient consacrés une fois pour toute.
M. Lévesque en a particulièrement aux «sparages» entre M. Trudeau et le premier ministre de l’Ontario, M. Bill Davis, au sujet de la réciprocité dans l’enseignement. La première version de la Charte des droits parlait d’une certaine reconnaissance minimale de dignité pour les »gens qu’on prétend reconnaître», ce qui s’appliquait également à l’Ontario, rappelle-t-il.
Suite à un «maquignonnage» entre Trudeau et Davis, ce dernier a accordé son appui au projet fédéral, poursuit M. Lévesque, parce que les libéraux fédéraux ont retiré l’Ontario du projet de Charte des droits. «Quand on voit des choses comme ça, c’est assez important qu’on tienne à cet élément de réciprocité».
Un deuxième mandat compte en politique, et pourrait avoir un poids psychologique renouvelé. «À ce moment là, ils (les provinces) savent qu’il n’y a plus moyen de penser que quelqu’un de plus conciliant» est entré dans le dossier.
Économie
Tout au long de sa compagne, M. Lévesque s’est fait reprocher par les jeunes gens des coupures budgétaires dans le secteur de l’éducation, alors que 45% des jeunes n’accèdent pas à la fin du secondaire.
«Quand vous dites coupures, moi je dis augmentations», soutient-il, en affirmant que ce n’est « pas à force d’argent qu’on assure la qualité de l’enseignement». Les prévisions budgétaires de M. Parizeau, note M. Lévesque, font état d’une hausse de 12,8% des dépenses globales ,hausse qui est d’un peu plus de 13% dans l’éducation. En plus, s’il arrive quoi que ce soit dans les choses «essentielles» qui font vraiment mal, le recrutement, l’accessibilité aux écoles, «tout ça pourrait être revisé».
L’éducation aux adultes, par exemple, on est prêt à regarder de nouveau dans ce secteur, c’est vital, mais il faut avoir les deux pieds sur la terre par exemple dans les normes qu’on veut imposer dans ce domaine, des normes auto-définies, des normes purement technocratiques de groupes organisés de syndicats d’enseignants.
«C’est du gaspillage invraisemblable», estime M. Lévesque, qui reconnaît d’autre part que sont gouvernement s’est fait «avoir» lors de la dernière négociation avec les enseignants en consentant des salaires à des professeurs en disponibilité. «Est-ce une justification pour dire qu’on doit jeter l’argent par les fenêtres?»
M. Lévesque donne un exemple d’une mauvaise utilisation de budgets spéciaux ces universités qui consacrent des montants élevés pour des cours spéciaux «qui ne sont pas justifiés et qui risquent d’être anti-productifs» à cause du manque de base sérieuse pour donner une discipline aussi avancée pour deux ou trois personnes.
Cette redondance, il faut payer pour, et si on n’a pas le droit de diminuer le superflu… «De là à dire qu’on doit financer tout ce qui est là, sans jamais remettre en question… lorsqu’il y a des limites aux ressources».
Et M. Lévesque de rappeler que depuis quatre ans son gouvernement a comprimé ses dépenses. Dans les administrations du réseau, et dans toutes les dépenses ancillaires qui ne sont pas directement reliées à la qualité de l’éducation, ne pourrait-on pas faire un effort insistant. Si ce n’est pas budgétairement imposé, ce ne sera jamais fait à partir de la bonne volonté spontanée. Des habitudes acquises, ça ne se ohange pas, dit-il en soupirant.
Le budget de la province augmente, augmentera, «c’est pour ça qu’il faut être raisonnable au maximum dans l’augmentation qu’on consent aux dépenses, surtout «si on veut continuer à soulager les contribuables, surtout ceux qui en ont besoin».
C’est pour ça que les dépenses doivent être comprimées à des augmentations, pas des coupures globales, des augmentations qui sont à la mesure de nos moyens.
DROIT DE GRÈVE
Des négociations avec la fonction publique et para-publique, quand il s’agit d’un «droit acquis», «on ferait une maison de fou beaucoup plus grave si on enlevait ce droit que si on essayait désespérément des fois, mais constamment, de le civiliser».
«On a pensé à décréter la fin des grèves, mais des décrets du gouvernement, quand on est même pas sûr qu’une loi de l’Assemblée nationale, avec tout ce qu’elle a de solennel, va être vraiment respectée, c’est de la foutaise.»
Il faut continuer inlassamblement à essayer d’établir un climat de concertation un peu général, sans rêver en couleurs. C’est ce qu’on a essayé de faire… voir les convergences d’intérêt et améliorer le processus.
Les ressources énergétiques du Québec représentent l’assise de ce nationalisme économique qu’essaye d’inculquer M. Lévesque aux Québécois depuis le début de la campagne, avant le nationalisme culturel.
Il en parle à chaque occasion, en rappelant que la moitié des ressources hydro-électriques de la province sont encore inexploitées, en reconnaissant que ce développement sera extrêmement coûteux. Il sera réalisé, laisse-t-il entendre,quand le financement en aura été assuré, peut-être par les États de la Nouvelle-Angleterre, mais à la suite de négociations précises qui comprendront notamment la garantie absolue que le Québec pourra cesser ses exportations d’énergie quand il en sentira le besoin.
L’énergie la plus chère, affirme-t-il, c’est celle qu’il faut arrêter de gaspiller, et c’est dans ce but que l’Hydro Québec sera mise à contribution dans la mise sur pied d’un vaste programme de conservation.
Reste le gaz naturel, dont il faut maximiser la rentabilité au Québec, à condition que le réseau de distribution soit québécois. Reste aussi le méthanol, ce «pétrole vert», qui pourrait jouer un rôle extrêmement important dans quelques années.
M. Lévesque se définit comme un «homme de projets» et explique qu’il lui faut des instruments pour arriver à ces projets. Le plus frustrant, avoue-t-il, c’est la longueur des étapes à franchir. «Une partie de mon travail consiste à pousser, à arbitrer des compartiments qui se marchent sur les pieds.
La politique, pour lui, c’est un instrument. La politique doit être concrète pour en arriver à cet aboutissement qui s’appelle le pouvoir.
Puis, dans le bureau du directeur du DEVOIR comme devant une foule de militants, il ne peut s’empêcher de parler de la fragilité des positions défendues par le Parti libéral du Québec et du grand danger pour le Québec et les Québécois d’avoir en même temps un gouvernement rouge à Québec et rouge à Ottawa.